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conséquences héréditaires. C’était une grave question, à la fois au point de vue théorique et au point de vue pratique, de savoir si ces variations qui atteignaient primitivement les cellules végétatives s’étendraient jusqu’aux cellules sexuelles et seraient capables de retentir sur la postérité du greffon. M. Daniel l’a résolue. La transmission n’a pas lieu toujours, mais elle est incontestable dans certains cas, et les produits de graines ont hérité de quelques particularités que la greffe avait introduites.

Par quel mécanisme peut s’exercer cette influence réciproque, désormais bien mise en lumière, des deux sujets associés ? C’est là le dernier problème à résoudre ; et voici ce que l’on en peut dire :

Les relations d’échange entre les deux plantes sont dominées par la structure du tissu commun qui les unit et qui forme le « bourrelet » de la greffe. M. Daniel a fait une étude attentive de ce tissu intermédiaire. Nous avons dit que les plantes éloignées sont greffables seulement par rapprochement, et qu’alors le bourrelet est uniquement composé de cellules. Il se complique davantage dans les greffes proprement dites qui s’opèrent entre plantes voisines. La masse cellulaire intermédiaire est alors traversée par un lacis de vaisseaux étroits, irréguliers, à trajet tourmenté. C’est par-là que la sève et les principes élaborés passent d’un végétal à l’autre, et que le greffon, véritable parasite, s’alimente aux dépens de son hôte.

On sait l’influence déformatrice, en tous cas transformatrice, que la vie parasitaire exerce sur les êtres vivans. L’usage par le greffon des sucs élaborés par son hôte, usage réglé d’ailleurs par la structure du bourrelet unissant, peut donc expliquer les « variations nutritives » qui surviennent. Il pourrait expliquer des variations plus profondes. D’après les idées de M. Armand Gautier, ces influences alimentaires iraient jusqu’à atteindre les caractères de l’espèce. Les sèves et les sucs de chaque espèce seraient spécifiques ; leurs caractères chimiques changeraient avec la variété et la race, comme les caractères anatomiques et physiologiques eux-mêmes ; et leur changement, qui équivaut à une modification profonde du milieu, entraînerait une variation corrélative dans l’être vivant qui les utilise.

A côté de ce mécanisme de variation, il y en a un autre, mieux connu des botanistes. Dans le bourrelet de la greffe, il ne se fait pas seulement un échange de produits élaborés, il se fait un échange des protoplasmes eux-mêmes, c’est-à-dire de la matière vivante des deux plantes. Thuret et Bornet, en 1878, avaient déjà reconnu les communications protoplasmiques qui s’établissent d’une cellule à