Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le poirier de nos jardins enté sur cognassier, — n’a pas de racines propres, il n’a plus d’attache en terre, il vit exclusivement aux dépens de l’appareil absorbant de son conjoint ; il est un pur nourrisson. Et ce conjoint lui-même (le cognassier), réduit à une tige et à des racines, n’est plus qu’une pure nourrice.

Mais on peut faire autrement, et il y a une autre catégorie de greffes dans lesquelles on laisse aux deux plantes associées leur feuillage. La plante nourrice porte des feuilles, des fleurs et des fruits à côté des fruits et des feuilles du greffon. On appelle cela des « greffes mixtes : » la greffe par rapprochement en est un cas extrême. M. Daniel a eu largement recours à ce genre d’opérations. On conçoit que l’influence réciproque des deux plantes en soit facilitée, puisque les feuillages, c’est-à-dire les appareils assimilateurs de l’une et de l’autre subsistent côte à côte et peuvent mélanger leurs produits. C’est en application de la même idée que certains amateurs de jardinage se plaisent quelquefois à réunir sur un unique pied d’arbre fruitier des greffons de toutes les variétés de pommes ou de poires ou d’abricots et de pêches qu’ils possèdent, de manière à faire de cet arbre unique comme le catalogue ou le spécimen de toutes leurs richesses pomologiques. A la fin du XVIIIe siècle, le baron Tschudy avait fait une tentative plus originale encore. Cet agronome philanthrope voulant, comme il disait, doubler l’héritage du pauvre, s’était essayé à "greffer la tomate sur la pomme de terre ; de cette façon, à faire produire à la fois des tubercules au sujet et des fruits et au greffon.


V

La réussite de la greffe requiert des conditions diverses. Adanson a cru faire connaître la plus importante de toutes en formulant, vers 1763, son fameux Principe de la parenté botanique. Il faut, selon lui, opérer sur des plantes aussi voisines que possible, ayant « une parenté botanique étroite. » Deux plantes ne peuvent se greffer que si elles appartiennent au même genre. » Et, de fait, les essais de greffage entre végétaux éloignés, de familles différentes, avaient jusque-là toujours avorté. Duhamel du Monceau, le contemporain et le collaborateur de Buffon, avait montré toute la vanité des tentatives de greffes hétéroclites dont les anciens avaient vanté le caractère merveilleux, comme de faire porter des roses au houx, de faire pousser des châtaignes sur les chênes ou des pommes sur les framboisiers.