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du rôle et de l’utilité de la greffe. Elle est considérée comme une garantie de conservation invariable. On admet que le rameau greffé se développe sur le sujet porte-greffe comme il l’aurait fait sur le pied auquel il appartenait. La greffe, disent la plupart des botanistes et des agriculteurs, ne produit pas de changement ; elle ne crée point de variétés nouvelles.

Cette opinion est fondée sur une trop longue expérience pour ne point contenir une grande part de vérité ; mais elle contient aussi une part d’erreur. Elle n’a point le caractère de rigueur dogmatique qu’on lui attribue. Les études nouvelles que nous examinons ici ont montré que le greffon éprouve des variations sensibles, qu’il se différencie sous certains rapports de la plante souche. Il est possible qu’il acquière quelques traits de la plante nourricière, et devienne ainsi, dans certains cas, une sorte de métis ou d’hybride des deux espèces composantes. Cette supposition a beau être contraire aux doctrines de Weismann, pour qui toute variation ne peut avoir qu’une origine sexuelle : elle a beau heurter le préjugé commun, elle n’en est pas moins fondée. Au lieu d’être un moyen de conservation, la greffe pourrait devenir un moyen de variation. Il y aurait des hybrides de greffe tout comme il y a des hybrides de croisement. C’est, comme on le voit, le contre-pied de l’opinion régnante. Tel est le point de vue auquel s’est placé M. Daniel : c’est cette thèse qu’il soutient.


II

L’idée de la variation par greffe est présentée par l’auteur avec des exemples et des argumens nouveaux ; mais la thèse, en elle-même, n’est pas nouvelle. Elle est, au contraire, très ancienne ; elle est celle de Palladius, de Columelle, de Pline et de Virgile. Ce sont même ces vieux auteurs qui l’ont compromise et discréditée par l’exagération avec laquelle ils l’exprimèrent. Ils rêvaient de greffer la vigne sur l’olivier et de produire ainsi des raisins dont les grains seraient des barillets d’huile ; ils croyaient aux roses vertes obtenues en greffant le rosier sur le houx. Leur imagination, en un mot, était hantée de la chimère des greffes hétéroclites.

La réaction contre ces excès de doctrine fut trop violente. Les praticiens expérimentateurs du XVIIe siècle, l’abbé Legendre, La Quintinie, et plus tard, au milieu du XVIIIe, Duhamel du Monceau, en faisant justice de ces fables, barrèrent aussi la route à quelques vérités. Ils