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conserver sans altération une infinité de variétés de plantes qui contribuent à l’ornement de nos jardins ou à la richesse de nos vergers. La plupart des espèces comestibles ou ornementales que nous utilisons et que nous estimons davantage ne sont point sorties telles quelles des mains de la nature. Elles sont un produit de l’art, de la culture et de la sélection opérée par l’homme. Les fruits sauvages ne conviennent plus à notre goût affiné : la pomme qui séduisit nos premiers parens paraîtrait quelque peu roche à leurs descendans. Ces produits spontanés et primitifs ont été amenés petit à petit au degré de perfection où nous les voyons aujourd’hui.

L’horticulture, par l’invention de la greffe, a été mise en mesure de capitaliser en quelque sorte toutes les améliorations survenues chez les plantes ; de thésauriser toutes les particularités favorables dues à des croisemens judicieux, à des efforts raisonnes des jardiniers, ou même à des circonstances accidentelles. La multiplication des plantes par semis ne permet point de conserver ces heureuses acquisitions. Les plantes qui lèvent de semis ne présentent plus les qualités spéciales, les particularités secondaires, mais avantageuses, qui avaient apparu dans la plante mère. La graine mise en terre ne reproduit pas servilement l’individu végétal d’où elle sort, avec les singularités qu’il a acquises et que l’on voudrait perpétuer. Elle ne résume pas. l’être actuel avec toute sa complexité acquise, mais un type ancestral, plus fruste, irrégulier, inégal, où ne persistent que les caractères spécifiques, c’est-à-dire les traits généraux de l’espèce. L’arbre venu de semence, a dit Virgile, pousse lentement ; ses fruits dégénèrent et perdent leur saveur primitive : pomaque degenerant, succos oblita priores.

La plupart des variations, si utiles ou avantageuses qu’elles fassent, n’auraient donc qu’une existence éphémère et seraient per" dues pour l’avenir, si l’agriculteur ou le jardinier se confinaient dans la reproduction par graines. Ils n’ont garde de le faire. Jusqu’à ce que la singularité apparue, saveur plus délicate, parfum plus pénétrant, couleur plus éclatante, ait été fixée par la durée et la longue possession, l’horticulteur n’a donc recours qu’aux procédés végétatifs de multiplication, de préférence au procédé sexuel par graine. Ces procédés sont le bouturage, le marcottage, la greffe. Les uns et les autres ont la même signification. Comme les deux autres, la greffe ne fait que continuer l’individu déjà existant : elle le perpétue avec ses caractères même accidentels.

Telle est l’idée classique que l’on s’est formée, depuis des siècles,