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on n’y regardait pas de si près : le profit cachait, effaçait ou compensait les inconvéniens : la préparation, ainsi menée, ne coûtait rien ; le lin était prêt à être vendu après l’hiver, et la récolte rendait son prix plein, puisqu’il n’y avait même pas à en déduire le salaire, dans tous les cas forcé, des ouvriers.

C’était de l’industrie primitive et rudimentaire, l’enfance de l’art, si l’on veut, mais l’on avait le lin à très bon compte, et tout ouvrier pouvait le travailler. Plus tard, quand se répandit l’usage des machines, les bras furent moins employés, et bientôt l’importation acheva ce que la machine avait commencé : les ouvriers se virent congédier, l’hiver venu ; l’ancien mode d’opérer devint complètement impossible. A la forme familiale succéda, si l’on ose user de cette expression, la forme « industrielle » de l’industrie du lin. Le passage de l’une à l’autre se fit à ce moment, et se marqua premièrement par un partage. Il serait bien prétentieux, pour dire des choses qui peuvent être dites tout uniment, de faire appel au langage de la sociologie ; et pourtant, c’est cela : l’industrie du lin progresse en se différenciant, et parce qu’elle se différencie. Le rouissage se sépare du teillage. Le rouissage continue à se faire chez le fermier. Quant au teillage, il est, dans cette période intermédiaire, entrepris, tantôt « à façon, » tantôt à leur compte, par des maîtres teilleurs qui procèdent soit à la main, soit mécaniquement avec un outillage d’abord médiocre, mais qui va se perfectionnant.

Seulement la concurrence des lins de Russie redouble, celle du coton s’accroît formidablement : l’industrie des maîtres teilleurs n’est qu’une petite industrie ; et, trop faible pour résister, elle recule et cède devant la grande, qui peu à peu couvre tout et étouffe tout de son ombre. Plus d’ouvriers aptes par habitude à ce travail ; les fermiers, qui, alléchés par l’appât de la prime, n’ont pas absolument abandonné la culture du lin, mais qui ne peuvent cependant le faire rouir ni le teiller, conservent dans leurs granges la récolte de plusieurs années, en attendant qu’il plaise à l’un de ces entrepreneurs rouisseurs et teilleurs, à présent si rares, de les en débarrasser au prix que lui-même fixera, et qu’il cherchera, évidemment, le plus bas possible.

L’insuffisance de la culture du lin a peut-être, pendant un certain temps, arrêté le développement du teillage ; en retour, l’insuffisance du teillage arrête maintenant la reprise de la culture du lin. On s’en rend compte, et l’on y voudrait porter