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un outillage toujours plus perfectionné et qui y précipite la révolution qui sera peut-être l’origine et la cause d’une prodigieuse transformation de la vie morale et d’une translation inattendue de la suprématie politique.

Plein de mépris pour la vaine agitation et pour l’activité inquiète des Européens, dont il ne voit chez lui que les représentans les plus actifs, mais aussi les plus aventureux, le Chinois, sans dédaigner les profits du commerce, estime, avec Confucius, que la vie ne vaut la peine d’être vécue que si elle a pour fin première la réalisation et la contemplation du beau et du vrai. L’Européen, de son côté (si l’on excepte, bien entendu, les missionnaires), n’a pas cherché à se montrer au Chinois autrement que comme un négociant âpre au gain ; il s’est laissé entraîner trop aisément à subordonner ses idées murales aux besoins de sa vie économique ; il a cru trop facilement à sa supériorité irréductible et à l’éternité de son règne ; préoccupé de vendre et de gagner, il a oublié que la vraie civilisation ne se mesure pas au progrès des sciences et au perfectionnement des machines, mais au progrès social et au perfectionnement moral. Et c’est pourquoi, aujourd’hui, le monde regarde avec tant d’angoisse la lutte gigantesque où les petits soldats nippons et les robustes enfans de la Sibérie et de la Moscovie se disputent l’Empire de l’Extrême-Orient, et pourquoi, malgré tout l’intérêt tragique de la bataille, c’est vers le troisième acteur du drame, vers le personnage muet et silencieux qui ne prend pas part au combat, mais qui ne saurait s’en désintéresser puisqu’il en est l’enjeu, vers la Chine, que va l’attention inquiète de ceux qui craignent de trop bien prévoir et qui redoutent la menace d’une Chine armée, productrice, exportatrice, guidée dans ces voies nouvelles par l’ambition audacieuse du Japon victorieux.


RENE PINON.