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du coton, ébranle l’univers pour satisfaire son besoin toujours grandissant de vendre et d’exporter, d’absorber des matières premières et de dégorger ses produits manufacturés. Si le vieux monde se ferme, il faut ouvrir des pays encore neufs, il faut fonder des empires dans le continent noir, il faut éveiller les peuples jaunes de leur isolement tant de fois séculaire, dût-on trouver ensuite en eux les plus redoutables des concurrens ; mais la faim n’attend pas, et, pour vivre, il faut exporter : c’est la loi de la vie économique moderne, la loi de l’organisation actuelle de la production. Dans cette course aux marchés, dans cette recherche hâtive des débouchés, la concurrence est âpre et tous les moyens sont bons : en quelques années, le partage du monde s’achève et, si rapide est la transformation, si universel le branle, que les nations mêmes dont la vie économique mieux équilibrée ne les oblige pas au perpétuel effort de trouver toujours des marchés nouveaux, ont suivi l’impulsion ; et, pour ne pas rester les mains vides dans cette curée sans lendemain, elles ont taillé leur part dans l’allotissement du monde. Mais les conséquences de cette prodigieuse expansion du commerce ont dépassé les calculs des économistes et les prévisions des hommes d’État. « Il y a plus de choses au ciel et sur la terre, Horatio, dit Hamlet, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie ; » il y a de même, dans les phénomènes de la vie, plus de choses que dans les lois de l’échange ; la vie est plus compliquée que le négoce : derrière ces débouchés qu’il fallait découvrir, derrière ces marchés qu’il fallait conquérir, il s’est trouvé des organismes vivans, des peuples, qui avaient une âme, une histoire nationale, des traditions et des croyances ; sous l’aiguillon des forces extérieures, ces peuples ont pris ou repris conscience d’eux-mêmes et, par une réaction naturelle, ils sont entrés à leur tour et ils entrent de plus en plus dans le tourbillon de la vie européenne ; ils ont cherché à mettre en valeur leurs propres richesses, à se servir de nos outils perfectionnés pour se suffire à eux-mêmes et nous battre ensuite, avec nos propres armes, sur notre propre terrain. Le Japon, le premier, a donné l’exemple ; mais qui sait, dans cinquante ans, combien le monde transformé comptera de Japons ? C’est la logique fatale du développement économique et de l’expansion commerciale des races européennes qui les a conduites vers les marchés pleins de promesses de l’Empire du Milieu, qui y apporte toujours plus de capitaux, toujours plus d’intelligences,