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les Russes, les Chinois du Nord, après la campagne, savaient faire une différence. Les Allemands symbolisaient pour eux les « Barbares de la mer, » ceux qui viennent pour piller et massacrer, tandis que les autres étaient les soldats d’un peuple qui, depuis des siècles, vit en bon voisinage avec l’Empire du Milieu, qui respecte sa religion et son empereur. Grâce à cette tactique heureuse, l’influence russe se trouva, après la guerre de 1900, avoir fait d’énormes progrès.

Ce n’est point ici le lieu d’exposer en ses détails, d’ailleurs assez mal connus, les relations des Russes avec les autorités religieuses de Lhassa : ces relations s’établirent tout naturellement par l’entremise des Mongols Bouriates, de religion bouddhiste et loyaux sujets du Tsar, quand le prince Oukhtomsky, lui-même de race mongole par sa mère, eut fait comprendre au gouvernement du Tsar tous les avantages politiques qu’il pourrait obtenir en nouant des relations avec le Dalaï-lama. A Ourga, en Mongolie, vit un très puissant vicaire du Dalaï-lama thibétain, le Giton-lama ; il est lui-même une incarnation du Bouddha ou, comme on dit, « un Bouddha vivant, » et son influence s’étend sur toute la Mongolie et jusqu’en Chine. Les Russes entrèrent en rapports avec lui, par l’intermédiaire des lamas bouriates et de leur chef, le Khamba-lama qui, dans son palais du lac des Oies, entre le Baïkal et Kiakhta, reçoit un traitement du gouvernement russe et est considéré par lui comme le véritable chef de la tribu des Bouriates. Par ce canal, un Mongol bouriate, sujet russe, du nom de Dorjief, parvint à occuper une situation considérable parmi les conseillers les plus écoutés du Pape bouddhiste de Lhassa. Grâce à ses efforts, des relations s’établirent entre le Tsar et le Dalaï-lama ; le 30 septembre 1900, Dorjief, envoyé par lui, rendait officiellement visite au Tsar à Livadia, en Crimée ; il revenait encore en Russie, l’année suivante (juin 1901). — Ce fait unique, ces rapports réguliers établis entre Saint-Pétersbourg et Lhassa montrent qu’une entente est intervenue entre les chefs du bouddhisme et le Tsar ; nouveau Charlemagne, l’empereur de Russie devient le protecteur du bouddhisme, le vicaire temporel qui doit gouverner, au nom du Saint-Siège de Lhassa, les bouddhistes de la Sibérie et de la Mongolie.

Le premier résultat de cette entente fut de faire des Russes les vrais maîtres de toute la Mongolie. La Mongolie est une immense étendue de steppes et de déserts parcourue par des