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ménagemens et cet art des nuances que les Orientaux savent si bien apprécier, a été désastreuse dans ses conséquences générales ; non seulement elle n’a pas abouti à donner à l’Allemagne une situation prépondérante dans le Céleste-Empire, mais elle y a compromis les entreprises et la sécurité de tous les étrangers. L’occupation violente de la baie de Kiao-Tcheou, dans une admirable position, à l’entrée du golfe du Pe-Tchi-Li (14 novembre 1897) ; le ton comminatoire de l’Empereur et de sa diplomatie pour obtenir la ratification du fait accompli et la cession à bail de la baie et d’un territoire de 50 kilomètres de diamètre, étaient en contradiction flagrante avec la politique d’intégrité que l’Allemagne avait, en 1895, défendue avec la Russie et la France. C’était l’inauguration d’une méthode nouvelle qui traitait l’empereur de Chine comme un roitelet africain et qui reniait les principes dont s’inspiraient, deux ans seulement auparavant, les notes diplomatiques dont on s’était servi pour obliger le Japon à lâcher la proie conquise par la force des armes. Le mouvement anti-étranger, la formation de la secte des Boxeurs, le siège des légations et les horreurs de 1900 sont le résultat direct de l’affaire de Kiao-Tcheou.

Il appartenait, en cette circonstance, à la Russie et à la France de rappeler leur associée de 1895 au respect des principes qu’elles avaient elles-mêmes définis et donnés pour fondement à leur action diplomatique. C’était l’instant critique : si la Russie ne saisissait pas cette occasion d’affirmer à nouveau, en face de l’Allemagne, la doctrine de l’intégrité de la Chine, elle paraîtrait n’avoir été guidée, en 1895, que par sa jalousie envers le Japon et, en semblant agir au nom d’un principe, n’avoir usé que d’un expédient. Ce fut, à Paris, l’impression première et cette impression fut communiquée à Saint-Pétersbourg. Malheureusement le prince Lobanof était mort ; la politique d’un nouveau venu aux affaires, le comte Mouravief, et surtout, peut-être, l’appât d’un profit immédiat, l’emportèrent sur des considérations moins avantageuses en apparence, beaucoup plus sages en réalité. Occuper Port-Arthur, obtenir la cession à bail de la péninsule du Liao-Toung, où viendrait se terminer le Transsibérien, trouver enfin ce « port libre sur une mer libre » dont les Russes recherchent depuis si longtemps la possession, c’était en apparence un coup de maître, qui semblait trancher définitivement en faveur de la Russie la question d’Extrême-Orient. La