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dû fournir un corps auxiliaire de 20 000 hommes, que commandait le général York. Pas plus que Metternich, Hardenberg né souhaitait le succès de Napoléon, tous les deux le redoutaient, au contraire, et ces alliés de la France n’avaient pas d’autre pensée que de se prémunir contre les effets d’une victoire de la France. Ils n’osaient pas encore penser à un échec qui les délivrerait et, peut-être, leur ouvrirait l’espoir d’une revanche. L’événement les surprit, et la retraite de Moscou les déconcerta.

Napoléon avait, par le traité de Vienne, de 1809, limité à 150 000 hommes les forces totales de l’Autriche. Lors même qu’elle serait délivrée de l’alliance, elle ne serait pas en mesure de profiter de sa liberté. « Dans une guerre entre la France et la Russie, avait dit Metternich, l’Autriche aura une position de flanc qui lui permettra de se faire écouter avant et après la lutte. » L’heure venait d’occuper cette position, et la manœuvre se présentait comme l’une des plus compliquées et scabreuses qui se pussent imaginer. Le premier point était de recouvrer la disposition des 30 000 hommes du corps auxiliaire et de se dérober aux demandes pressantes d’augmentation de ce corps que Napoléon ne manquerait point d’adresser ; de ne les point repousser toutefois : c’était le seul moyen d’obtenir de Napoléon la licence d’armer et de se remettre, sans lui inspirer de méfiance, en état de le combattre. Le second point était de rester avec la Russie sur le pied de neutralité, de fait, où l’on s’était mis, d’arrêter les Russes aux frontières de la Gallicie, et de les tenir en suspens en leur laissant espérer une alliance prochaine. Enfin il convenait d’encourager la Prusse à la résistance, au besoin à la défection, et pour l’exemple qu’elle donnerait aux confédérés allemands, et pour l’avantage qu’on y trouverait d’éloigner de l’Autriche le théâtre de la guerre. Voir venir les événemens, les solliciter adroitement, se réserver toutes les chances, préparer l’Europe à un arbitrage autrichien ; faire en sorte qu’après avoir successivement rassuré et inquiété tout le monde, l’Autriche, en cas de victoire finale de Napoléon, trouvât partout des cliens, et, en cas de défaite des Français, partout des alliés, qu’elle consommât, à son avantage, la ruine du Grand Empire ou la ruine de l’Europe ; bref, le jour venu, disposant de 300 000 hommes, appoint décisif dans la lutte, mettre l’alliance autrichienne à l’encan de l’Europe, se donner à qui paierait le mieux, à qui procurerait le plus de terres et offrirait le plus de garanties, sauf à préférer, dans le