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Le même jour, 8 février, un courrier portait à Napoléon cette lettre désespérée de Caulaincourt : « Votre Majesté m’a donné carte blanche ; c’est me donner la nécessité pour règle ; mais la nécessité sort des événemens, elle est dans la situation, et quand je ne sais rien de ce qui se passe, quand Votre Majesté ne me fait donner aucune nouvelle, je me trouve réduit à marcher dans l’obscurité et sans guide… Ce que je sais avec certitude, c’est que j’ai affaire ici à des hommes qui ne sont rien moins que sincères, que se presser de leur faire des concessions, c’est les encourager à en demander de nouvelles, sans que l’on puisse prévoir où ils s’arrêteront et sans obtenir de résultat. » C’est ce que Napoléon avait trop clairement discerné à Dresde. Caulaincourt revenait de loin. La réalité qui s’imposait à lui, à Châtillon, il refusait naguère de la voir à Prague et à Francfort : c’est qu’alors il n’écoutait que le seul Metternich. Il comprenait désormais ce que signifiait « la paix en soixante heures ! » et quel était le mot du secret de Metternich. Il voyait les quatre devant lui, et sans, connaître les accords de Reichenbach, — qu’il ne soupçonnait pas à Prague, — ceux de Tœplitz et de Langres, il en constatait la force. « Les Autrichiens nous témoignent un intérêt apparent et nous trompent, conclut-il. Pas un allié, pas un ami, pas même un indifférent ! » Le 9, « d’ordre » du tsar, les conférences furent suspendues. « Vous me demandez de grands sacrifices, dit Caulaincourt à un Autrichien… Je demande si, après tous ces sacrifices, nous finirons enfin… Vous répondez par des subtilités… »

Metternich, Castlereagh lui-même étaient d’avis de traiter si Napoléon consentait à tout accorder. Sur ces entrefaites, Alexandre reçut, à Troyes, où le quartier général s’établit le 10 février, un courrier de Londres : c’était une conversation confidentielle du régent avec le prince de Lieven : « Une paix, quelque avantageuse qu’elle pût être faite avec Napoléon, n’assurerait jamais qu’une trêve plus ou moins longue à l’humanité, » avait dit le régent. Il inclinait à inviter les Français à « séparer leurs intérêts de ceux de leur tyran. » Lieven « avait acquis la certitude » que lord Liverpool, le chef du ministère, partageait au fond la manière de voir du régent, et qu’il redoutait « cette propension extraordinaire du Cabinet autrichien à la paix dans un moment où les chances les plus brillantes semblaient ouvrir aux armées alliées la route de Paris. » Alexandre triomphait