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étonnés, sans oser y contredire, de l’admiration de ses contemporains ; et nous avons supposé que les Sermons ne nous étaient point parvenus « tels qu’il les avait prononcés ; » et nous en avons fait un crime au Père Bretonneau ; et nous serons bientôt au point d’en préférer les versions clandestines au seul texte qui doive faire loi. Nous ne voulons pas rester au-dessous de l’admiration des contemporains, et, pour la justifier à nos yeux, nous en arrivons à ce paradoxe de la motiver par les raisons mêmes qui font qu’ils ont moins admiré l’éloquence de Bossuet. Les contemporains de Bossuet et de Bourdaloue n’étaient point des « romantiques, » et à peine des naturalistes.

La critique et l’histoire littéraire ont deux raisons d’insister sur cette observation. La première, c’est que les grands écrivains du XVIIe siècle, ceux que l’on peut appeler vraiment originaux, Bossuet et Pascal, Molière et La Fontaine, Racine, Mme de Sévigné, ne sont en vérité « représentatifs » de leur temps que pour la moindre part d’eux-mêmes et par les moins originales de leurs qualités. Mais chacun d’eux y est, selon le mot du philosophe, « comme un Empire dans un Empire ; » et, en effet, ce n’est pas seulement l’éloquence de Bossuet, c’est l’ « intensité » de Pascal, si je puis ainsi dire, et c’est encore l’art de Racine que les contemporains n’ont pas apprécié à leur prix. Les contemporains ne paraissent avoir estimé, ni l’auteur d’Andromaque et d’Iphigénie beaucoup au-dessus de celui d’Ariane et du Comte d’Essex, ni Pascal, « Monsieur Pascal, » beaucoup au-dessus de Nicole ou d’Arnauld. On disait couramment le « grand Arnauld ; » on ne disait pas le « grand Pascal. » Une phrase de Nicole, sur Pascal précisément, et sur ses Pensées, nous explique-t-elle peut-être la bizarrerie de ces jugemens ? Il trouve les Pensées de M. Pascal, « quelquefois un peu trop dogmatiques, » et ainsi, dit-il, « elles incommodent mon amour-propre, qui n’aime pas à être régenté si fièrement. » C’est ce qu’ont dû penser les contemporains de Racine et de Bossuet. Leur amour-propre n’aimait pas « à être régenté si fièrement ; » et l’autorité du génie leur semblait être, comme à Nicole, un abus de dogmatisme. Mais, quoi qu’il en soit de l’explication, ce qui n’est pas douteux, c’est la réalité du fait. Je ne l’ai pas dit autrefois avec assez d’assurance : ils ont préféré Bourdaloue à Bossuet ; et, pour qu’un changement à cet égard s’opérât dans l’opinion, il a fallu préalablement qu’un autre changement se fût fait dans les esprits.