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besoin d’un autre texte que celui de l’édition « officielle ; » et c’est aussi ce qui me permet d’espérer ou de croire qu’aucune édition critique n’en modifiera sensiblement les conclusions. Nous l’avons dit, et nous le répétons, nous l’attendons impatiemment, cette édition critique ; et nous savons quel en sera l’intérêt. Quand elle ne nous servirait qu’à mieux déterminer les « époques » de l’éloquence de Bourdaloue, cet intérêt serait déjà considérable, et ce n’est pas seulement l’histoire de la vie du prédicateur, mais l’histoire de l’éloquence de la chaire dans la seconde moitié du XVIIe siècle, et l’histoire même des mœurs, qui s’en trouveraient vivement éclairées. A un autre point de vue, et s’il ne nous est pas du tout inutile, pour mieux apprécier l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre ou le Sermon pour la profession de Mlle de La Vallière, de savoir qui furent Louise de La Vallière, ou Madame, Duchesse d’Orléans, il ne nous serait pas indifférent de savoir quel sermon a prêché Bourdaloue, — sur la Crainte de la mort ou sur l’Impureté, sur la Fausse Conscience ou sur l’Ambition, — dans la même semaine qu’il venait d’assister à la mort de Colbert ou de Mlle de Fontanges. Ce n’est pas une « indication » que je donne au Père Griselle, c’est un « desideratum » que je me permets d’exprimer. On ne saurait jamais rattacher, par des liens trop étroits ni trop nombreux, à l’actualité qui les inspira, ces chefs-d’œuvre qu’une admiration banale a détachés de leurs origines, et situés, pour ainsi parler, en dehors de l’espace et du temps. Nous devrons sans doute ce service à l’édition « critique » des Sermons de Bourdaloue.

Mais le caractère de son éloquence n’en sera pas pour cela changé ! Ni les Villemain, ni les Sainte-Beuve, ni Désiré Nisard, ni tant d’autres, pour apprécier à son prix l’éloquence de Bossuet, n’ont eu besoin de la belle édition de l’abbé Lebarq, ou seulement de l’édition, déjà moins « critique, » de M. Lachat ; et le texte de Versailles, qui n’est que la reproduction de celui de dom Déforis, leur a suffi. Ne nous exagérons point, en dépit de Boileau « le pouvoir d’un mot mis en sa place ; » et ne croyons pas que la qualité du style d’un grand écrivain ne dépende que de quelques « variantes. » Si Victor Cousin n’était pas intervenu dans l’affaire, Pascal lui-même, je dis Pascal, le Pascal de l’édition Bossut et de l’édition de Port-Royal, n’en serait pas moins tout ce qu’il est. Est-ce que les Voltaire et les Condorcet s’y sont mépris ? Et si l’on nous fait observer là-dessus que nos