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pas se regarde soi-même, mais contemple les vices d’autrui. » Je lis encore, dans le même sermon : « Si je ne profite pas des alimens, ils se tournent en poisons, et la médecine me tue dès qu’elle n’opère pas pour me guérir. » Voilà sans doute qui est bien dit ! Mais d’abord, de ces expressions, pour en trouver dans Bourdaloue, je suis obligé de le lire la plume à la main, sinon de les y chercher ; et puis, elles ne sont pas « signées. » Elles sont de lui, mais elles pourraient être d’un autre. Sa langue et son style, admirables pour d’autres raisons, manquent un peu d’ « individualité. »

Serait-ce, par hasard, chez le plus illustre des prédicateurs de la Compagnie de Jésus, l’effet d’une austérité qu’on pourrait appeler janséniste ? Nous y gagnons, nous, d’avoir en lui l’un des plus sûrs témoins de la langue de son temps. Non pas sans doute, — car à cet égard on ne saurait trop faire de distinctions, — non pas que tout le monde en son temps fût capable d’écrire ou de parler comme lui ! Ses confrères Cheminais ou de La Rue serviraient au besoin de preuve du contraire ! Toutes les femmes, en ce temps-là, n’écrivaient pas non plus comme Mme de Maintenon ! Mais ce que l’on veut dire, c’est que ce n’est pas la langue ou le style de Mme de Sévigné, ni de Bossuet, qui correspondent le mieux à l’idée qu’en leur temps on se formait des qualités du style ou de la langue : c’est la langue ou le style de Nicole et de Bourdaloue. Le style ou la langue des très grands écrivains sont plutôt les leurs qu’ils ne sont ceux de leur temps, et pareillement la langue ou le style des « stylistes. » Là peut-être est encore une des raisons du succès de Bourdaloue. Il parle une langue moyenne, que ses auditoires n’ont pas de peine à suivre, dont les étonnemens ou les surprises ne les détournent pas de l’attention qu’ils doivent au fond des choses, et une langue, enfin, que tout le monde est tenté de croire qu’il parlerait aussi bien que Bourdaloue, — si seulement il essayait. Il a donc été tout de suite, et toujours, compris. On savait qu’en allant l’entendre, rien ou presque rien ne serait perdu de ce qu’il dirait. Mais nous, c’est à ce titre que nous pouvons voir en lui l’un des plus sûrs témoins de la langue de son temps. La langue de Pascal est la langue de Pascal, et la langue de Molière est la langue de Molière : la langue de Bourdaloue est la langue du XVIIe siècle.

On lui reproche, il est vrai, quelques négligences ou