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parlementaires, et dont il faut souhaiter qu’il n’y devienne pas habituel, car sa-conséquence pratique ne serait autre que la suppression du Sénat par lui-même. Une des fonctions les plus importantes de la haute Assemblée est assurément de réviser et de corriger une loi qui n’a encore été votée que par l’autre Chambre, et qui l’a été quelquefois au milieu du désordre de l’improvisation. Une loi aussi compliquée que celle dont il s’agissait cette fois, et qui touche a tant d’intérêts divers, ne peut pas être parfaite du premier coup. Inévitablement des imperfections et des négligences s’y glissent. La Chambre aurait pu en éviter quelques-unes, si elle avait mis deux fois son ouvrage sur le chantier, et c’est ce qu’elle devrait faire pour toutes les lois, sauf de rares exceptions. Son règlement l’y oblige, à moins qu’elle ne vote l’urgence qui supprime la seconde délibération. Elle la vote maintenant à tout propos, et elle, n’a pas manqué de le faire pour la loi sur l’enseignement congreganiste. Le Sénat a imité cet exemple, et, lorsqu’un de ses membres a demandé pourquoi, M. Clemenceau, président de la Commission, a répondu avec un merveilleux sans gêne qu’il jugeait inutile d’en donner les raisons : n’étaient-elles pas évidentes ? Il était évident, en effet, qu’on voulait, sinon supprimer le débat, au moins le rendre inutile : alors à quoi bon en avoir deux ?

Gouvernement, commission et majorité s’étaient donné le mot pour laisser s’écouler le flot oratoire de l’opposition sans souffrir d’ailleurs qu’un iota fût changé à la loi. Si encore ils l’avaient trouvée parfaite ? Mais non, ils avouaient qu’elle ne l’était pas, et même que certaines de ses dispositions étaient inapplicables. N’importe, on voulait en finir, et quant aux parties de la loi qui manifestement ne tiennent pas debout, on les ferait redresser par le Conseil d’État. Il n’y a pas d’autre mot que celui d’abdication pour qualifier l’attitude du Sénat dans cette circonstance. S’il récidive, on pourra se demander à quoi il sert. D’après la Constitution, une loi doit être discutée par les deux Chambres, et discutée ne veut pas dire enregistrée. D’après le règlement, il faut deux discussions dans chaque Chambre, quatre en tout, et même davantage puisqu’une loi votée par une Chambre et modifiée par l’autre est renvoyée à la première, qui la discute encore. L’expérience montre qu’avec nos assemblées actuelles, cette quadruple épreuve est rarement suffisante pour arriver à une rédaction irréprochable. Eh bien ! voici une loi dont personne ne contestera l’importance : elle n’a, en réalité, été discutée qu’une fois, et elle a été finalement votée et promulguée boiteuse et difforme, telle qu’elle est sortie d’une discussion unique. Si la lettre de la