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recommandé de « s’attacher spécialement à rompre tout rapport des marchés au poisson avec les jours d’abstinence désignés par l’ancien calendrier. » Car de toute évidence le maigre est contre-révolutionnaire et son observance ne peut manquer de mettre la patrie en danger. Deux lois de l’an VI confirmaient cet arrêté, l’une faisant du repos décadaire une obligation sous peine de la prison, l’autre défendant sous peine d’amende d’employer aucune date qui ne fût tirée de l’annuaire républicain. Rappelons à ceux qui seraient tentés de s’y tromper que le principe édicté par la loi non abolie du 3 ventôse an III subsistait. « L’exercice d’aucun culte ne peut être troublé ; la République n’en salarie aucun. » C’était le régime de la liberté des suites.

Puisque le dimanche avait été jusque-là le jour où, dans les anciens cultes, les fidèles se réunissaient pour assister aux offices, et entendre les enseignemens de leur religion, de même le décadi devra être solennisé par des réunions où se déploieront les pompes civiles et où s’entendra une prédication destinée à « régénérer » la France. Aussi bien, pour régler le cérémonial des réunions décadaires, le Directoire n’avait pas davantage à se mettre en frais d’invention : il n’avait qu’à puiser dans le répertoire des élucubrations sans nombre écloses dans le cerveau des patriotes de l’an II. Il existe toute une littérature décadaire bien curieuse à consulter. On n’imagine pas sans cela les dépenses de symbolisme et les débauches d’allégorie auxquelles se livrèrent les citoyens d’alors soucieux de concerter de beaux spectacles à la fois pittoresques et moraux. Nous devons à l’obligeance de M. A. Gazier, le savant professeur de l’Université de Paris, possesseur des papiers de l’abbé Grégoire d’avoir feuilleté bon nombre de ces brochures où la fantaisie inventive des patriotes brûle de s’épancher. Au reste ces « instructions sur les fêtes décadaires, » ces « essais d’un rite de célébration des décadis, demi-quintidis, et fêtes nationales, » ces « opinions sur l’organisation des fêtes civiques » se ressemblent furieusement ; les différences ne portent guère que sur des détails. Voici, pour ne prendre qu’un exemple, le programme d’une « cérémonie en l’honneur de l’égalité, de la liberté et de la raison, propre à être exécutée tous les décadis dans toutes les communes de la République. » L’auteur anonyme en publiait, la même année, une seconde édition absolument refondue et dans laquelle se trouvent les hymnes et discours annoncés dans le premier[1].

  1. Chez Aubry, libraire, an II de la République.