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La théophilanthropie avait été, au moins lors de ses origines, une entreprise particulière : elle avait été conçue par quelques bourgeois désireux de jouer au pontife et qui n’étaient pas fâchés de se servir de leur déisme pour se signaler à la faveur du gouvernement. Le culte décadaire va être, dans toute la beauté du terme, la religion d’État. Élaboré dans les bureaux, imposé par le pouvoir central aux autorités, par les autorités aux particuliers, expédié de Paris dans les départemens avec un programme de fêtes applicable à toute la France et un arsenal de pénalités très propres à convaincre les consciences rebelles et à opérer les conversions, c’est bien ce culte officiel auquel tous les Français seront tenus de se plier, quelles que puissent être leurs croyances individuelles, leurs traditions de famille, leur éducation, et les besoins de leur raison ou de leur sensibilité.

A vrai dire, l’invention n’était pas nouvelle. Le Directoire se bornait à reprendre un système d’où la Convention, qui l’avait imaginé, n’avait pas su tirer tout le parti qu’on en. devait attendre. Mais, puisqu’il s’agissait de ruiner une religion qui s’était pendant des siècles mêlée et confondue avec la vie de la nation, quelle trouvaille plus merveilleuse que celle du calendrier républicain ? Il était inutile de chercher mieux. Par la mise en vigueur et l’usage exclusif du nouveau calendrier, on détruisait d’un coup les habitudes les plus enracinées ; et on administrait aux plus sceptiques la preuve palpable qu’il fallait rompre avec l’ancien ordre de choses et qu’on entrait dans une ère nouvelle. Le dimanche était en l’espèce le grand coupable : il était au centre des pratiques de l’ancien culte ; c’était lui qu’il fallait décidément abolir au profit du décadi. La Convention avait péché par tiédeur, mollesse et excessive tolérance : de là venait tout le mal. Pour faire court, le Directoire prenait, le 14 germinal an VI, un arrêté en vue de la stricte observation du calendrier républicain. C’était l’expédient nécessaire et suffisant. « Tout ce qu’il y a à faire est de rendre le calendrier républicain nécessaire à toutes les classes de citoyens et à tout moment ; il faut qu’ils le rencontrent à chaque pas ;… il faut qu’ils en aient besoin pour leurs délassemens et pour leurs plaisirs. Des mesures purement administratives peuvent atteindre ce but. » Donc il était prescrit aux administrations municipales et aux tribunaux de régler désormais leurs séances sur la décade ; il était ordonné aux administrations municipales et centrales de fixer à des jours déterminés de la décade les foires et marchés « sans qu’en aucun cas l’ordre qu’elles auraient établi pût être interverti, sous prétexte que les marchés tomberaient à des jours ci-devant fériés. » Il leur était