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partisans des déesses de la Raison, du culte du Marat et de ces fêtes décadaires… qui ont coûté tant de larmes et d’argent, fêtes par lesquelles, au nom de la République, à l’instigation du gouvernement pendant plusieurs années, on a désolé et tyrannisé la France. »

Le Concours décisif fut celui de Laréveillère-Lépeaux, membre du Directoire. Dans ses Réflexions sur le culte, sur les cérémonies civiles et sur les fêtes nationales, lues à l’Institut le 12 floréal an V, il trace le programme d’une religion naturelle réduite au minimum de dogmes et de pratiques et qui ressemble, trait pour trait, à la théophilanthropie. C’était désigner celle-ci à la protection du gouvernement. Aussi, vau lendemain du coup d’État du 18 fructidor, dont Laréveillère-Lépeaux avait été le principal auteur, les théophilanthropes sont-ils protégés ouvertement ; ils reçoivent des subventions, leurs livres figurent au programme des écoles officielles. Dès lors, rompant avec leurs habitudes de prudence, ils marchent résolument à la conquête des églises de Paris, et obtiennent d’en partager la jouissance avec les catholiques. Ils s’y établissaient les décadis et quintidis, de onze heures du matin à trois heures du soir. Pendant les exercices d’un culte, tous les emblèmes et lignes de l’autre devaient disparaître ou être dissimulés derrière un voile ; l’entrave ainsi apportée à l’exercice du culte catholique était un premier avantage. Les théophilanthropes occupèrent ainsi jusqu’à dix-neuf églises de Paris, notamment Notre-Dame, qui après avoir servi sous la Terreur de magasin pour quinze cents tonneaux de vin, était rouverte depuis le 11 août 1795. Entrons-y à l’heure de leur office. Une surprise nous y attend : c’est d’y rencontrer une liturgie et des rites qui, en se précisant, avaient changé peu à peu la « religion naturelle » en une religion positive.

Les théophilanthropes ont des dogmes : l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. Ils ont une morale basée sur ce précepte : adorez Dieu, chérissez vos semblables, rendez-vous utiles à la patrie, et qui se divise en devoirs envers nous-mêmes, devoirs envers notre famille, et devoirs envers la société. Ils ont un clergé : ce sont les lecteurs et orateurs qui figurent dans les cérémonies ; et ce clergé a un costume : ce fut d’abord une robe de laine blanchâtre sans boutons, à laquelle se substitua dans la suite un arrangement fait d’une toge bleu céleste avec une tunique blanche et la ceinture aurore. Chemin fils est d’avis que ce costume « repose l’œil plus agréablement que celui des prêtres protestans et annonce un moraliste aimable. » Ils ont une messe servie par des enfans de chœur, et où on peut aussi brûler de l’encens. Ils instituent un baptême civil avec parrain et marraine, un