Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

découverte de l’homme et celle du monde, avait eu l’idée ou l’occasion de ce parallèle, il n’eût pas manqué de définir la Révolution : la mise en valeur de ces deux découvertes. Mais d’adopter ce langage outré, « n’est-ce pas, en vérité, ne rien dire, ou du moins rien que d’apocalyptique ? » Ainsi s’exprime l’historien de la Littérature française classique[1], au premier chapitre de son ouvrage. Ce chapitre est consacré à la Renaissance en Italie ; il en suit le processus ; il en analyse les caractères, et nous lui emprunterons ses formules exactes.

Il nous rend d’abord évident que la Renaissance a procédé comme la nature, qui crée ses matrices avant d’y lancer le germe d’un être nouveau. On sait, bien qu’au temps de Dante, de Pétrarque et de Boccace, qui inaugurèrent l’ère nouvelle, il y avait des hommes et qui parlaient : mais ces hommes vivaient en troupeaux, ne se croyaient pas les propriétaires de leurs personnes, et n’avaient pas une langue, commune à tous leurs groupes, qui, leur permît de voir clair en eux, entre eux et au-dessus d’eux, et de prendre conscience de leur parité d’origines, d’intérêts et de besoins.

Le latin, — langue d’analyse, langue réaliste et oratoire, — dès qu’ils furent versés dans son étude, leur créa cet instrument de connaissance, que Dante, Pétrarque et Boccace douèrent d’universalité dans l’espace et dans la durée, à la faveur de leur génie. Les mots, dès qu’ils sont clairs, précis, bien accentués, euphoniques, ont deux sortes de pouvoir, qu’ils exercent l’une après l’autre : ils conduisent aux idées et de là aux actes ; ensuite, ils ont fait tant et de si grandes choses que, vidés de leur contenu, ils font illusion encore et instaurent l’empire du pur verbalisme. Il en alla ainsi de l’influence des lettres et des arts de la Renaissance : dès que ces formes eurent atteint à la perfection, les idées y germèrent. De la langue des temps d’Auguste, on en vint à adopter leur politique et leur morale. « Il n’était pas humainement possible, remarque notre auteur[2], que, par-delà le poète Prudence, on retournât à Catulle et à Martial, ni, par-delà saint Augustin ou saint Jérôme, à Cicéron, sans

  1. Cf. Histoire de la Littérature française classique, par M. Ferdinand Brunetière, de l’Académie française, vol. I, ch. Ier, la Renaissance en Italie (Delagrave, 1904), et Origines de la France contemporaine, par Taine, t. 1, livre III, l’Esprit et la Doctrine.
  2. Histoire de la littérature française classique, ch. Ier, t. Ier, op. cit.