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à ses besoins, mais se déclarèrent désemparés par la surprise du coup. Et, au vrai, personne n’était prêt, quoique tous eussent dû l’être. Sempiternelle histoire : le crime plaisait aux bannis, mais non le criminel. Beaucoup écoutèrent favorablement les offres de retour que leur fit murmurer Cosme, qui proclama bientôt une amnistie dont Lorenzino fut seul excepté. Se voyant le seul homme au milieu de fantoches, Lorenzino essaya toutefois de les manœuvrer ; il n’y réussit point. Alors, il recula le terme rémunérateur de ses efforts trahis et de ses risques méprisés ; il se rendit à Constantinople auprès de Soliman, pour le décider à unir ses armes à celles de François Ier et à les tourner contre l’Empereur. Sur le bateau qui l’emportait, il chanta des vers tendrement animés de son amour pour les siens, à la sûreté desquels il n’avait pas cessé de pourvoir. Sa tête était mise à prix par Cosme. De crainte d’être saisi et torturé, il avait toujours sur lui une pilule de poison. Il échoua auprès du Turc. De retour en Italie, sur la fin d’août, il apprit la confirmation de Cosme à la Seigneurie, l’écrasement des conjurés qui avaient livré bataille trop tard, et la captivité de Philippe Strozzi dans cette citadelle de Florence qu’il avait édifiée de ses deniers. Lorenzino, déçu, mais non découragé, franchit les Alpes, rencontra à Lyon, le 6 octobre, François Ier, qui lui donna 400 écus et qui l’entraîna à sa suite ; enfin, il vint à Paris et y revit Benvenuto Cellini, qui faisait monnaies et médailles à la cour de France. L’artiste détestait Lorenzino. Les affidés de Cosme obligèrent celui-ci à chercher dans la grande ville un abri humble et secret, où il est vraisemblable qu’il occupa ses loisirs à composer son Apologie, écrit admirable et irréfutable de tous points, si l’on en admet les prémisses, à force de clarté, de droite logique, de sobre éloquence !…

Dès lors, les tentatives contre la vie de Lorenzino se multiplient. La première, qui manqua à Lyon (6 juin 1541), était de la main du « capitaine » Cecchino de Bibbona ; ce bravo s’y reprendra huit ans plus tard. Par un retour fatal, cet esprit de démence et de fausse lucidité qui avait aveuglé le duc Alexandre sur le compte de Lorenzino, aveugla celui-ci sur le compte de Cecchino, comme pour vérifier la divine parole que qui se sert de l’épée périra par l’épée. Il aida à mettre le sicaire en liberté par ce billet très noble, et encore plus inconsidéré : « Si vous n’avez point de mauvais desseins contre moi, ainsi que vous