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ses dents le pouce de Lorenzino, dans une morsure féroce. Du moins, Alexandre est muet ainsi. Mais Lorenzino, qui l’empoigne, ne peut agir, et Scoronconcolo craint de les mal distinguer, de blesser son maître, enlacés comme ils sont. Le sbire larde les matelas, entre leurs jambes, sans pouvoir arriver au duc. Alexandre se dégage encore une fois. Il parle : « Ah ! Laurent, je n’attendais point cela de toi ! — Au contraire, il y a trop longtemps que vous l’attendez ! » Le duc a pris une escabelle pour se faire un bouclier. Mais comme il se levait, Scoronconcolo l’a saisi de revers et lui a fendu la figure d’un coup de coutelas. Il retombe. Lorenzino pense, bien à propos, qu’il tient en poche son bon petit couteau napolitain. Cette fois, il ouvre la gorge au duc, c’est fait.

Alors, pour être sûr qu’il ne « ressuscitera » pas… il lui arrache le gosier. Plongeant sa main valide dans la blessure qu’il vient d’ouvrir avec son petit couteau, il empoigne les cartilages et les tire au dehors. Le cadavre en reste hideux, au point qu’on ne pourra le montrer à personne.

Le duc est tombé sur le plancher. On le ramasse, on l’enveloppe, après l’avoir encore percé et repercé de l’épée, dans une courtine de lit, il a l’air de dormir. Lorenzino, peu fait aux exercices violens, est fatigué de cette lutte ; et il a chaud, dans cette chambre où le feu brûle haut. Il ouvre la fenêtre, il reste au bon froid de la nuit, pendant que Florence en liesse passe et repasse devant cette chambre où son duc est gisant…


Pourtant, Lorenzino veut tuer encore, d’autres. C’est Scoronconcolo qui l’en dissuade : il en a assez. Avant de sortir, Lorenzino n’a pas oublié l’inscription « pour le revers de la médaille » d’Alexandre, qu’il avait promise à Benvenuto Cellini. Sur la poitrine du duc, il épingle une pancarte où ces mots sont tracés :

VINCIT AMOR PATRIÆ, LAUDUMQUE IMMENSA CUPIDO.
L’amour de la patrie et un immense désir de gloire ont vaincu.


III

Tandis que Lorenzino chevauchait ventre à terre sur la route de Venise, répandant le bruit de son haut fait avec le sang de sa noble blessure, et qu’il supputait le concours enthousiaste des « grands bannis, » son cousin Cosme, averti du meurtre par sa mère, — laquelle « avait ouï un seul grand cri, mais ne chercha pas à rien savoir, » — Cosme se rendait au Trebbio, y chasser à l’oiseau, sûr qu’on le rappellerait bientôt ; et de fait, on l’acclamait en son absence Seigneur de Florence. « Mon mauvais sort, expliqua plus tard Lorenzino, voulut que le premier que je rencontrai ne me crût point. » A Venise, les Strozzi subvinrent