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Pour le couronnement de ses forfaits, celui-ci obtenait d’être fiancé à la fille de Charles-Quint, Marguerite d’Autriche, à peine nubile. Benvenuto Cellini venait le pourtraire, et Lorenzino assistait aux séances de pose. « Seigneur, disait l’artiste au duc, je vous ferai une médaille bien plus belle que je n’en fis au pape Clément ; et maître Laurent, qui est là, me donnera une bien belle inscription pour le revers, comme une personne savante qu’il est, et de très beau génie. » À ces paroles, Lorenzino répondait : « Je ne pensais qu’à cela, et à te donner un beau revers, qui fût digne de Son Excellence… Je le ferai le plus vite que je puis, et j’espère faire une chose qui émerveillera le monde. » Alexandre s’enorgueillissait d’une si flatteuse promesse.

Cependant, les bannis s’étaient rassemblés à Naples, autour de Charles-Quint, qu’ils suppliaient de rompre les fiançailles de sa fille et de déposer le duc. Alexandre, ayant Lorenzino à sa suite, se rendit en cette ville pour déjouer leurs menées ; il y réussit ; le mariage fut décidé et la date fixée au mois de mai. À ces réunions des conjurés, Lorenzino était admis et il assistait sans mot dire à personne, sinon à Philippe Strozzi, devenu un « pur, » implacable aux défections, et qui, lui ayant reproché ses hésitations et sa vilenie, s’entendit répliquer : « J’espère vous faire connaître bientôt que je suis homme de bien. » Et, là-dessus, Lorenzino sortit et s’en alla conter le tout au duc Alexandre.

Que sa conduite était hardie et prudente à la fois, en cette conjoncture ! Il est sensible qu’au fond Lorenzino ne faisait point cas de ces « grands bannis, » si pleins de la justice de leur cause, et qu’il ne se souciait pas de leur confier clairement ses desseins, encore moins le détail de leur mise à exécution. Si chacun d’eux avait souffert autant que Philippe Strozzi, ils auraient moins parlementé, agi plus tôt et plus rudement ; et Lorenzino, les trouvant prêts à le seconder, leur aurait jeté une phrase moins ambiguë. Il ne les trahissait pas en répétant au duc son entretien avec eux : par cette feinte délation, il endormait la méfiance d’Alexandre sans lui apprendre rien des projets de ses ennemis qu’il ne sût pertinemment, puisqu’ils les proclamaient. Au fait, Lorenzino avait résolu son assassinat ; mais, pour passer de la délibération à l’action, lui-même avait besoin d’une impulsion dernière. Alexandre la lui donna. On n’a pas oublié le procès qui divisait Cosme et Lorenzino après leurs pères sur un