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Clément VII ordonna qu’il fût pendu par la gorge, sans nulle forme de procès, aussitôt qu’appréhendé. Mais on lui dénonça Lorenzino ; et, pour le « cher mignon, » la pendaison fut commuée en bannissement. Il nous est facile de nous expliquer cet acte de « vandalisme » de la part de cet « esthète. » Ecoutons autour de nous ses semblables, qui pullulent, vitupérer la statuaire et l’architecture modernes et appeler le fléau, hache et torche, qui en détruira jusqu’aux vestiges ; écoutons aussi la défense de cette catégorie de voleurs passionnels et maniaques, dits kleptomanes. Si ces statues étaient laides, Lorenzino ne pensa donner qu’une leçon de goût aux Romains niaisement idolâtres de toutes leurs antiquailleries. Si elles étaient belles, ou simplement expressives, il en vola les têtes pour les confronter à son aise avec celles de ses contemporains dignes d’attention. Au vrai, elles ne parurent jamais en sa possession, ni à Rome, ni à Florence où l’on supposa qu’il les avait envoyées. Il s’en défit sans doute promptement. Le kleptomane est un collectionneur ou amateur, et celui-ci un montreur, qui ne jouit de rien s’il n’en fait parade. Une grosse rumeur de haine et de mépris chassait Lorenzino de Rome à Florence. Pour le rendre odieux au duc Alexandre, Hippolyte animait et payait ses insulteurs publics. Que n’a-t-il tué. Clément VII ! songe-t-il. Pâle, chétif, flétri, plus pauvre et plus déclassé que jamais, Lorenzino est prêt au crime ; et Florence attend précisément l’espèce d’homme qu’il croit être.


II

Avoir vingt ans, être imbu des plus fines essences de l’humanisme, ne s’inspirer que de Virgile et de Dante, de Plutarque et de Machiavel, se sentir né pour la prééminence et se croire toute licence permise pour y parvenir, aimer Florence comme sa Dame, la vouloir posséder coûte que coûte ; mais ne la pouvoir approcher que confondu parmi les adulateurs qu’elle dédaigne, la trouver à la merci d’un insulteur laid et brutal, ne savoir comment l’en délivrer sinon par un meurtre, et devoir pourtant concourir soi-même à la louange de ce goujat intronisé par la soldatesque germanique et faisant litière du lys rouge, — ah ! misère de Lorenzino ! que peu du chose suffira bientôt à changer l’amère dérision d’un tel sort en une certitude joyeuse