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ses rivaux et intronisé chef du gouvernement à Florence, quand cette ville succomba sous les armes de Charles-Quint. Lorenzino suivit le pontife à Rome, et acheva de s’y perdre. Il y rencontra le richissime banquier Philippe Strozzi, qui le jeta dans l’extrême licence des plaisirs ; il y retrouva aussi son. doux ami de Venise, François de Médicis, encore plus épris, et si follement que, la jalousie l’ayant emporté un jour jusqu’à menacer Clément VII, on dut l’enlever de force, perdu de raison désormais. « Alors, rapporte un chroniqueur, Lorenzino commençait à montrer une âme inquiète, insatiable, et qui désirait voir le mal, et sous la règle et discipline de Philippe Strozzi, à se moquer ouvertement de toutes choses, tant divines qu’humaines, et… il se passait toutes ses fantaisies, surtout en fait d’amours, sans nul respect de sexe, d’âge ni de condition. »

Ni placé ni renté par le Pape, Lorenzino médita de le tuer. Il forma le plan de cet assassinat ; puis, ainsi que les artistes font de leurs premiers jets, il renonça vite à exécuter ce plan ; il le mit de côté, pour une occasion plus favorable. Quoique le libertinage l’eût énervé et qu’il fût impatient d’aboutir, ses ambitions n’étaient pas encore délirantes ; son cœur était malsain plus que son esprit. Il aimait à balancer. En attendant de prendre une résolution ferme, il s’adonnait aux lettres et aux arts, soit avec dilection, soit avec malignité : « Lorsqu’il voyait, relate Francesco Doni, un homme rare ou dans la vertu ou dans le vice, il allait examinant bien sa physionomie, pour tâcher de la comparer aux médailles antiques (dont il était connaisseur), et suivant qu’il reconnaissait la ressemblance des lignes et des profils, ainsi il faisait un parallèle des mœurs, et le plus souvent, il trouvait que l’homme moderne avait les mêmes penchans qu’on décrivit de l’homme antique. » Il est probable que Lorenzino se cherchait lui-même de la sorte. Ne fut-ce pas quelque médaille à l’effigie d’un des Brutus, où il crut voir ses traits, qui lui donna la hantise, l’idée fixe de s’immortaliser comme ce Romain ? Déjà, Plutarque et Machiavel, surtout Plutarque, lui avaient formé l’âme et le verbe à l’imitation du tyrannicide parfait ; il ne s’agissait plus que d’incarner leurs principes.

Un matin de l’an 1534, Rome fut bouleversée d’apprendre que, dans la nuit, on avait décapité les huit statues des rois barbares qui surmontaient l’Arc de triomphe de Constantin. Rome demandait la mort du malfaiteur. Plus furieux que tous,