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Mantoue où il tenait arrêtés les lansquenets de l’hérétique allemand. Il laissait un fils de sept ans, Cosme. Sa veuve, Marie Salviati, et Marie Soderini, quoique séparées d’intérêts par le procès toujours pendant de leurs maris sur l’objet des 30 000 écus, s’aimaient et s’entr’aidaient comme des sœurs. Elles prirent peur ensemble pour leurs fils : elles les firent partir de nuit à cheval avec une petite escorte vers Venise, où ils arrivèrent sans trop d’encombre et trouvèrent leur sûreté. Le petit Cosme y reçut tous les honneurs, et Lorenzino aucun. Cosme, aussi bien, était le fils d’une Salviati et d’un valeureux homme que Venise avait naguère nommé son capitaine général : Venise devait à cet enfant de le reconnaître pour sien. Mais voilà Lorenzino renfoncé dans sa noire envie. Cosme et lui avaient une demeure commune, qu’un vaste et charmant jardin entourait, et où les visitaient de bons petits compagnons. Un cousin, François de Médicis, y avait sa chambre contiguë à celle de Lorenzino : ces adolescens s’y lièrent pour étudier et pour se gâter l’un l’autre avec passion. On dut les séparer : en 1528, Cosme et Lorenzino furent ramenés par leurs mères à Florence. Mais, presque aussitôt, Lorenzino en repartit, enveloppé avec ses cousins détestés, Hippolyte et Alexandre, dans la suite du pape Clément VII qui allait à Bologne se mettre à la merci de Charles-Quint ; l’y couronner avec « mult grant triumphe ; » et mériter de rentrer sous la protection de ses piques dans Florence et dans Rome qui l’avaient chassé. Charles-Quint se fit attendre. Il n’arriva que le 4 novembre 1529 à Bologne. Le 21 février suivant, il reçut des mains du Pape la couronne de Lombardie, et, trois jours après, celle de l’empire. Le séjour de Lorenzino à Bologne fut donc assez long, dans des circonstances assez pathétiques, pour l’instruire et pour le former aux grandes spéculations politiques dont il ne cessait de rêver. Mais son affaire était surtout de gagner les faveurs du Pape, que se disputaient ouvertement Alexandre et Hippolyte.

Alexandre, chéri du Pape à l’égal d’un fils, était une espèce de More aux cheveux crépus, noir et laid de visage, trapu, ni attrayant ni cultivé ; tandis qu’Hippolyte, promis aux hautes charges de l’Église, avait le charme, les goûts et les lettres d’un raffiné. Lorenzino essaya de les supplanter. Mais de quelque manière qu’il eût essayé de s’y prendre, il n’en vit pas moins le vil bâtard Alexandre favorisé en fin de compte au détriment de