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d’une mère sur son fils aîné est toujours circonspecte, car il sera chef de maison et, comme tel, il participe de bonne heure à l’autorité et à l’indépendance de son père ; il ne sent pas sur lui peser aussi lourdement que sur ses cadets et sur ses sœurs, qui n’en seront jamais affranchis, une tutelle qu’il exercera avant peu. C’est pourquoi la sage et patiente Marie Soderini ne suivra que de loin le développement de son Lorenzino. Elle ne veillera de près que sur son second fils, Julien, lequel mourra archevêque d’Aix sans nulle odeur particulière de sainteté ou de vice, et que sur ses deux filles, lesquelles feront d’honnêtes dames.

Le milieu où s’écoula l’enfance de Lorenzino n’était propre qu’à faire épanouir précocement, sans en redresser ni élaguer rien, tout ce qu’il y avait en lui de puissance pour le bien et pour le mal. Il s’éleva à peu près seul, en pleine campagne, livré au pervertissement des livres de l’antiquité et aux incitations voluptueuses de la nature toscane. Jouir, c’est tout le conseil de cette nature, née païenne, dirait-on, où, pour enivrer l’âme ensemble avec les sens, l’azur céleste descend à portée des lèvres et fait croire qu’on respire l’air de son idéal. Jouir du jour pour se préparer des nuits délicieuses, jouir de la nuit pour s’assurer des jours brillans, jouir en regret et en désir, et jouir avant tout de l’heure qui passe, ce conseil ne fait point de réserve quant à la somme des jouissances accessibles ; il est seulement délicat, et même difficile, quant à leur qualité ; il n’en souffre que peu de grossières et de communes. Ce fut des terrasses verdoyantes et dorées de Fiesole, où se dressait sa villa, que Lorenzino, dès son premier âge, sentit son immense désir de vivre répondre à ce vif appel de toutes voluptés. On lui avait donné pour précepteur l’intendant Zeffi qui était versé dans la connaissance du latin et très habile au savoureux parler toscan. Auprès de ce factotum servile et plat, mais cultivé, le fils de la vertueuse Marie Soderini n’avait de contrariétés que de la pénurie croissante de ses parens. Comme elle veillait surtout à son entretien, Marie écrivait un jour à ce Zeffi, que les chausses de Lorenzino étaient « en si misérable état que s’il les voulait porter, elles ne pourraient lui servir, comment qu’on les rapiéçât. »

C’était par raison d’économie qu’on demeurait a Fiesole ; et pour la même raison que, Florence étant trop près de Fiesolo, on s’en fut demeurer entre Florence et Faënza, dans le beau pays de Mugello à Cafaggiolo, où l’aïeul avait installé ses fabriques de