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Cousin des Pensées de Pascal vient de paraître : pourquoi M. Vinet n’en parlerait-il pas chez vous ? Lui seul pourra remettre cette question sur un bon pied, c’est digne de lui, et il le doit à la doctrine de la Grâce, sans quoi je le tiens pour Cartésien[1].

Il a paru un livre sérieux, encore inachevé, en deux volumes de la princesse Belgiojoso : Essai sur la Formation du Dogme catholique ; c’est sérieux, catholique d’intention, semi-pélagien et origénien de fond, d’un style très ferme, très simple, enfin une très précieuse curiosité venant d’une Italienne galante, d’une Trivulce. Son nom n’y est pas, mais elle l’avoue. L’ouvrage s’étend, jusqu’ici, depuis saint Justin jusqu’à saint Augustin : il reste encore deux volumes à paraître.

Mlle Rachel est toujours la lionne et le grand événement littéraire. On raffole d’Esther, dont elle récite quelques scènes dans quelques salons et dans les soirées qu’elle donne et où il va tout ce qu’il y a de mieux en hommes. Elle s’essaie sur Phèdre ; jusqu’à présent, les avis sont partagés sur les scènes d’échantillon qu’on a entendues. La passion, cette grâce, lui viendrait-elle ?

L’Académie française, en ses séances particulières, s’anime sur son dictionnaire, comme au bon temps de Pellisson et de Chapelain, on dispute sur une phrase de Buffon. L’autre jour, Hugo, Cousin, M. de Barante ont pris feu sur le mot a b c d, que lisait Nodier. Celui-ci, se voyant contesté, voulait donner sa démission : on l’a consolé, et il continuera de faire le dictionnaire, que tous continueront à plaisir de discuter. Le 8 décembre, M. Mignet recevait à, l’Académie M. Pasquier ; dans huit ou dix jours, M. de Barante va recevoir M. Patin. On ne sort pas de ces bals de noces de beaux esprits : Mlle Rachel et l’Académie, les oreilles en tintent dans tous les salons. En un mot, il y a ici une recrudescence de classicisme, de siècle de Louis XIV, de goût pour Esther et de dilettantisme académique. C’est là toute ma conclusion.

Pourtant on attend un drame de Hugo aux Français, dans un mois, qui viendra en concurrence avec Phèdre. Les Chevaliers du Rhin où il y a force vieillards, un vrai drame centenaire. Quatre générations à la file depuis l’âge de 108 ans, 78, 44, 24.

  1. M. Vinet n’avait pas attendu le livre de M. Cousin pour dire son sentiment sur les Pensées de Pascal. Dès 1838 il en avait fait l’objet d’un Essai pour le Semeur, t. VIII, p. 48-52.