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à Paris aucune des personnes que vous y avez connues. Pour y rester il faut être bibliothécaire, ce que je sens que je suis, plus que jamais. Cette corde au cou devient ma seule ressource pour ne pas me noyer. Car je sens bien que je ne pourrais plus vivre de ma plume au jour le jour, avec mes gaîtés et mon entrain d’autrefois.

Hélas ! hélas ! chère Madame, j’ai passé auprès de vous à Lausanne les derniers jours qui comptaient un peu vivement pour moi. Dites-vous cela pour m’excuser ensuite dans mes ennuis fades et dans l’expansion moindre que vous trouverez en moi. Je regrette, mais dans ce que je regrette il y a certainement quelque chose où vous étiez.

Renvoyez-nous Lèbre retrempé aux lacs vaudois, mais avec une provision d’activité parisienne. Il peut s’il le veut, dans la disette où l’on est et agréé comme il l’est, devenir le premier écrivain de la Revue, l’un des plus fréquens. Cela n’est pas à mépriser. Qui nous eût dit cela et le reste, à l’un des soirs de 1838 ?

Mille amitiés, chère Madame, souvenirs à vos bons parens et baisers à vos enfans.

Et Mlle Sylvie, si je ne la nomme, qui va croire encore que je l’oublie.

Merci des utiles renseignemens Gingins.


Ce vendredi (s. d.) décembre 1842.

Chère Madame,

Je reçois votre aimable lettre et suis dans un état de souffrance et d’irritation qui vous vaudra une réponse bien prompte, car j’ai besoin de m’épancher envers les amis. D’abord, je suis furieux contre M. Vinet, ou, pour mieux dire, blessé. Quoi ! c’est lui qui dans le Semeur a osé louer et recommander, et dire qu’il aimait un livre ou libelle d’un M. Michiels[1]qui nous insulte

  1. Alfred Michiels venait de publier, sous le titre : Histoire des idées littéraires en France au XIXe siècle de leurs origines dans les siècles antérieurs, un livre en deux volumes qui faisait grand bruit (Paris, Coquebert, 1842). — Le 27 septembre 1841, Alfred Tattet écrivait à Ulric Guttinguer, à propos de la France littéraire où paraissaient les articles de Michiels : «… Un M. Alfred Michiels est en train d’y écharper Sainte-Beuve (Voyez le Mercure de France de septembre 1893.) Sainte-Beuve avait encouragé Michiels à ses débuts et lui avait promis un article de lui ou de Labitte dans la Revue des Deux Mondes sur ses Etudes sur l’Allemagne, mais n’avait pu lui tenir parole : de là ses rancunes contre Sainte-Beuve. (Cf. Sainte-Beuve, par G. Michaut, p. 656-37.)