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Vous avez laissé, chère Madame, un très présent souvenir dans l’esprit de M. Doudan, qui m’a souvent reparlé de vous et qui regrette, m’a-t-il dit, de vous avoir si peu vue. Ce qu’il aime en vous, c’est un mélange (m’a-t-il dit encore) et de simplicité naïve et de supériorité ou de confiance tenant à l’esprit. Il se rappelle encore votre air aisé et rougissant quand vous êtes arrivée tard à ce dîner chez Mme Eynard. Cela, sans que vous vous en soyez doutée, vous a beaucoup réussi. Je ne vous dirais pas tout cela si je ne savais que vous avez distingué l’esprit et le goût de M. Doudan. Le voilà justifié.

Adieu, chère Madame et cher Olivier, j’embrasse vos enfans, et des mille amitiés par votre bouche à ceux qui voudront se souvenir de moi.


Troyes, vendredi, 1er août 1842.

Chère Madame,

Ce n’est plus de Paris que je vous écris ; je suis venu ici (à Troyes)[1]pour consulter les manuscrits jansénistes que j’avais tant différé à visiter. J’ai profité pour cela du premier jour de mes vacances. La fatigue extrême que m’a causée ce petit voyage et la peine que j’ai à me refaire me montrent combien je suis loin des dernières et encore récentes années. J’ai emporté de Paris un petit mot de Mme Valmore à votre intention. Toute la famille Senancour aura été bien sensible à votre gracieux accueil, et moi je vous en remercie, quoique cela vous paraisse tout simple.

Nous avons reçu à Paris et dans toute la France un grand coup par cette mort du Duc d’Orléans ; l’impression a été profonde et vraie ; et, pour mon compte, j’en vois l’avenir deux fois assombri. Le Duc d’Orléans était à peu près un contemporain ; il nous connaissait tous et en était connu ; nous n’aurons donc pas même pour notre seconde moitié de vie cet accord avec le gouvernant, qui a manqué déjà à notre jeunesse : nous ne tomberons juste sur aucun point de la chose publique. La Restauration était odieuse à notre générosité première, et notre prudence finale aura à s’inquiéter sur des berceaux.

Vous, dans votre pli de vallées et de montagnes, vous échappez à ces soucis ; vous en avez d’autres, mais qui, politiquement

  1. Il y vint encore en 1849, en revenant de Lyon, où il était allé visité Mme d’Arbouville, alors gravement malade.