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Pour peu que je tarde, comme elle est injurieuse, cela nous brouillera encore, sans autre cause.

J’ai compris, depuis, ce que vous me vouliez dire un jour avec vos craintes sur Mickiewicz et ses fausses espérances de Pologne. Il paraît qu’il est dupe, en effet, d’une espèce de charlatan et de prophète. A quoi sert donc la religion, si elle mène droit des hommes éclairés à ces écueils ?

Adieu, chère Madame et amie ; apaisez-vous, pensez à nous de biais, c’est le moyen sûr d’y venir comme les bons navigateurs le savent bien. J’embrasse vos chers petits, et Olivier, je pense à vous, très en face.


1842


Ce 1er janvier 1842.

Le torrent d’ici est tel que je n’ai pu, à la lettre, depuis quatre jours ressaisir un quart d’heure pour vous saluer, chère Madame, et vous offrir tout ce que vous savez et que vous avez, vous et les vôtres, depuis longtemps. Je le fais aujourd’hui au réveil, et c’est une de mes premières pensées. Puissiez-vous, le cher Olivier et vous, continuer et prolonger votre bonheur de plus en plus établi jusque bien tard sous les années que j’appelle crépusculaires, et qui sont encore loin de vous ! Nous n’avons rien de bien gai ici pour cette année qui commence. La chose sociale s’en va toujours de plus en plus à vue d’œil. Lamartine vient de faire des bêtises avec sa candidature ; le détail de tout cela est affligeant pour l’intelligence humaine. Se peut-il que le génie politique soit affligé d’une niaiserie si flagrante, d’une candeur d’intrigue si bête !

On n’est jamais sûr, disait l’autre jour M. Royer-Collard, que, lorsqu’on vient d’entendre de lui un magnifique discours, presque sublime, en le rencontrant dans les couloirs de la Chambre et en le félicitant, il ne vous réponde à l’oreille : « Cela n’est pas étonnant, voyez-vous, car, entre nous, je suis le Père Eternel ! »

Judith est étrangement mêlée à tout cela, et plus que vous ne pourriez soupçonner. Elle a été lue d’abord au Comité des Français et refusée par les comédiens et par le terrible Buloz. Voilà le vrai. Mais quand on possède un journal de nos jours, on n’est jamais battu que quand on le veut. Les Girardin de la Presse ont tant agi que le ministre a promis d’intervenir et de