Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ce 8 décembre 1841.

Il ne faut pas vous tourmenter, chère Madame, ni vous faire un monstre à l’avance ! Quant à cet hôtel, il sera toujours temps, une huitaine avant de s’informer ; je ne vous en parlais qu’en vue de renseignemens. Paris est le lieu le moins redoutable pour les étrangers, même les étrangères. On y fait ce qu’on veut ; on y est pris à sa convenance ; on y est reçu sur le pied où l’on se pose. Quant à Lausanne, je ne vois trop ce qu’il aurait à voir et à dire là. — Je travaille à force en ce moment, pour terminer mon second volume : je voudrais qu’il eût paru d’ici à deux mois. Si je ne le fais pas plus gros que le premier, ce sera possible, mais je suis obligé de dépasser un peu mes limites, la matière m’y poussant ; et encore n’y pourrai-je faire entrer à beaucoup près ce que je projetais. Si ce volume était fait à votre arrivée, ce serait une double joie, ou plutôt ce serait une même joie, puisque j’y gagnerais de la liberté vers vous.

Ma santé n’est pas bien bonne ; pourtant, cela va sans chavirer.

Je suis vraiment peiné de cette révolution de Genève. Cela va gâter une ville européenne ; certaines gens, en arrivant au pouvoir, tracasseront et dégoûteront les riches et les étrangers. La montre était vieille et bonne, et allait bien ; pourquoi y toucher ? — Mais tout se gâte en ce monde, même au bord des lacs tranquilles, et le miroir inaltérable n’est nulle part.

Notre politique ici est bien misérable ; notre littérature ne vaut guère mieux. Rien de nouveau ni qui promette ne se produit. Si vous avez lu les deux numéros de la Revue indépendante, vous aurez vu jusqu’où vont le pathos et la promiscuité.

Ce Leroux écrit philosophie comme un buffle qui patauge dans un marais.

J’ai reçu mon brevet honoraire[1], et me suis empressé de répondre à l’instant. Pourquoi n’ai-je pas eu une poitrine ? J’aurais fait de temps en temps une campagne de ce côté-là, tandis que voilà que je deviens bonhomme ici. Tout à fait bonhomme : il n’y manque que la tabatière.

Je n’ai pas vu Mme Sand depuis son retour ; il y a des gens. que je n’aimerais pas y rencontrer, et qui doivent y être souvent.

  1. De professeur à l’Académie de Lausanne.