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J’embrasse vos trois petits ; Mlle Sylvie a sa part de mes très constantes pensées : dans ces termes-là elle ne doit pas s’empêcher d’y croire.

Amitiés, cher Olivier, et tout à vous, chère Madame.


2 septembre 1841.

J’éprouve un trop sensible plaisir de vos aimables lettres pour ne pas vous l’exprimer aussitôt. Vous vous trompez ; je ne suis jamais fâché qu’on me dise des douceurs ; quand on m’en dit et que j’ai l’air contrarié, c’est de n’y pas assez répondre. Ainsi, chère Madame, vous voilà avertie, et ne vous méprenez plus à l’avenir.

J’ai plus que vous, ou, pour parler sans aucune équivoque, autant que vous, regret à ces huit jours que j’aurais pu dérober ; je dis que j’aurais pu, et je ne l’ai pu en effet, tant de choses me tiennent que je ne puis secouer nettement : ma santé d’abord, dont je ne fais plus ce que je veux, l’argent ensuite, qui, bien que j’en aie plus qu’auparavant, s’accoutume à être dépensé plus vite et ne fait pas faute moins souvent… Et puis, et puis… tout ce que je vous aurais eu bientôt dit en huit jours, — dès le premier jour ; — et les sept autres nous n’aurions parlé que de vous.

Malgré mes goûts d’ici, malgré le plaisir que souvent j’y prends et que mon observation, désormais, bien plus que mon cœur, savoure ; malgré les vieux liens renoués, ma destinée était, elle est encore, je le sens, de vivre là-bas, d’y vieillir. Oui, je ne puis me figurer que, dès que certains malheurs viendront, dès que je n’aurai pas devoir d’être ici, ce n’est pas là, auprès de vous tout d’abord, que je courrai, que je vivrai au moins six mois de l’année, en solitaire inconnu. Au pire, ce serait dans Eysins ou vers Bonmont que je prendrais le gîte caché ; de là j’irais vous visiter souvent : je me sentirais dans votre atmosphère et vous n’auriez qu’à me tendre la main pour que je puisse la toucher, au moins par le bout des doigts. Mais ne pressons pas ce triste à la fois et doux avenir.

En attendant, j’use les heures, les saisons ; je vole où le vent me chasse, j’échoue où je veux, je suis en proie. Vous y viendrez à ce Paris, j’ai toujours craint en effet de vous y voir paraître, non pas autre de cœur et de soin, mais autre à cause du cadre même. Eh bien ! pour en avoir le cœur net, vous y viendrez à l’un de ces premiers printemps, vous reconnaîtrez que je suis