Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait dîner plusieurs fois chez son oncle, et se trouve tellement répandu parmi tous nos politiques et littérateurs qu’il vous en rendra ensuite le plus fidèle compte.

J’ai fait un article sur Töpffer où vous avez passé[1] ; soyez indulgente, chère Madame, à ces souvenirs détournés et comme obliques. Les affections bien vraies ont leur pudeur et craignent d’en trop dire devant tous.

Ma lettre est courte, mais je suis plus plein de vous et de vos doux lieux et de la pensée d’y revoler que je ne l’ai jamais été. Que vous ajouterai-je qui vous puisse être un entretien plus direct et plus long ?

A vous, chère Madame, et à Olivier.


5 avril 1841.

Je trouvais, en effet, que c’était bien long, mais Lèbre m’avait dit que vous étiez dans les élections, et je vous croyais en tournée électorale, belle dame, comme font ici les nôtres, qui, au besoin recrutent pour leurs mari et frère. Vous m’édifiez trop avec ce mariage de M. de Brenles, je ne croyais pas que l’idylle pût aller si loin. Elle me plaît peu à ce degré ; la mort est trop là toute voisine et sur le dos du vieil époux[2].

Vous recevrez d’ici à quelque temps une visite d’un ami de Mme Sand, à qui j’ai donné une lettre de recommandation pour vous. C’est son ami le Malgache tant célébré dans les Lettres d’un voyageur : son vrai nom est M. Néraud (ou Nérault). Il est botaniste, - très simple, me dit-elle ; il voyage à pied, a de gros souliers et a l’air d’un jardinier : assez savant d’ailleurs, modeste et excellent[3]. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas osé vous écrire elle-même, mais ce que vous pourrez faire pour lui lui sera agréable. (Quelques lettres à des botanistes, si vous en connaissez.)

M. Chateaubriand est très content des vers qu’il a lus sur le Lac sans mémoire[4]. Vous avez bien tort, Madame, de ne pas m’écrire tout ce qui vous vient à la pensée à mon endroit ; cela

  1. Cet article parut dans la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1841.
  2. M. de Brenles, qui avait alors 84 ans, était sur le point d’épouser une demoiselle qui en avait 50.
  3. Ce Jules Néraud était de la Châtre. George Sand l’avait surnommé le Malgache, « à cause des longs récits et des féeriques descriptions qu’il lui faisait de l’ile de Madagascar, au retour de ses grands voyages. »
  4. Poésie de Juste Olivier.