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A propos, hier soir, étant chez Mme d’Agoult qui me força à dire des vers, je lus cette pièce des Consolations dont votre lettre de ce matin vient me rendre l’écho. Je suis des plus mondains cet hiver, probablement pour me distraire des graves douleurs d’il y a quelques mois. Je vais partout où l’on m’invite, de sorte que je ne saurais dire où je ne vais pas, ne fût-ce qu’une ou deux fois. L’autre jour, à la soirée chez M. Lebrun, j’ai fait pendant une heure ma cour respectueuse à Mlle Léopoldine Hugo, l’aînée des enfans, la plus charmante et la plus perlée des ballades de son père : elle a dix-sept ans. Je la traitais comme une très grande et très sérieuse personne qu’elle est, et elle avait l’air charmé. Ce sont là mes plus vives émotions ; j’appelle cela de la poésie, la seule qui me reste. Tout m’est égal, et je donnerais mon âme et l’avenir, tout mon royaume, pour un éclair ! Voilà des aveux, mais vous m’en demandez presque et le printemps qui recommence m’ouvre le cœur et les lèvres. Cela, pourtant, ne saurait durer ; dès qu’il faudra travailler, j’aurai à rompre ; comment le ferai-je ? Je ne sais ; — alors, comme alors. — Le canton de Vaud se présente toujours à moi comme un coin de refuge, un nid sûr, mais je tomberai en chemin, je le crains, avant d’y pouvoir retourner. Plaignez-moi un peu, aimez-moi toujours.

M… est un manant et un animal, il ne faut pas lui écrire ; P… est un envieux et un ignorant, il ne faut pas lui écrire davantage. Qu’Olivier veuille me dire quel genre de renseignemens il désire, et je lui indiquerai quelque personne honnête et plus savante dans ces spécialités d’antiquailles qu’aucune des deux.

J’ai vu l’autre soir Mme Sand : elle aime fort Mickiewicz, mais sans, je crois, lui faire la cour, ni songer à malice. Ce sont de sots contes ; et Mickiewicz, d’ailleurs, n’est pas homme à se laisser faire. Ils sont bien ensemble, voilà tout.

Lèbre vous en écrira sur nos prédicateurs, nos professeurs, nos talens et nos légèretés, plus vivement que moi qui dois y être moins sensible que lui.

J’embrasse les chers petits, les trois Suisses du lac. — J’ai bien pris part à tous les accidens et à la convalescence de M. Vinet : Eynard a pour lui les Panégyriques du P. Senault qu’il désirait[1].

  1. Le P. Senault (1599-1672) eut de son vivant une très-grande réputation de prédicateur. Le P. Imgold lui a consacré, en ces dernières années, tout un volume de la Bibliothèque oratorienne.