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impossible à tenir en présence du nombre sans cesse croissant des rengagés ; de l’autre, combien il est pénible à des hommes de 32 à 36 ans de faire l’apprentissage d’un métier nouveau. Je ne parle pas de la singulière anomalie qu’il y a à vouloir recruter de vrais sous-officiers chez des individus dont le rêve favori, l’espoir longuement caressé est d’obtenir un emploi de garçon de bureau, d’huissier de ministère, ou de commis de quelque grande administration où il leur sera loisible de devenir de paisibles bourgeois et d’innocens budgétivores. Le métier de sous-officier ne sera une carrière que le jour où il assurera l’existence de celui qui y entre par goût ou par raison, depuis ses débuts jusqu’à l’heure du repos définitif, de la retraite absolue.

Mais il y a une autre anomalie, non moins singulière et bien plus grave, dans notre législation actuelle.

Pendant que, d’une main, on dispensait très libéralement les faveurs au sous-officier, de l’autre, on lui retirait sa plus belle, sa plus précieuse prérogative, celle qui flattait le plus son amour-propre, celle qui le distinguait de tous les sous-officiers des autres armées et l’élevait au-dessus d’eux : la possibilité d’arriver à l’épaulette. Certes, ce n’était là qu’un rêve irréalisable pour la plupart des sous-officiers, qu’un idéal toujours poursuivi, rarement atteint ; mais c’est méconnaître notre tempérament national que de nier la puissance de cette illusion sur nos imaginations et sur nos cœurs. Cette espérance suprême était, pour notre sous-officier, un aiguillon nécessaire ; elle le soutenait dans les heures difficiles, elle le ranimait au milieu des ennuis, des dégoûts, des défaillances. C’est méconnaître aussi et gravement les instincts égalitaires de notre race et l’éducation démocratique des générations actuelles que de leur fermer tout accès au grade d’officier, fût-ce au nom de l’instruction ou de la science. « Tout soldat français a un bâton de maréchal dans sa giberne » n’est qu’une phrase, si l’on veut, mais une phrase qui a décidé plus d’engagemens et de réengagement que toutes les hautes payes, pensions de retraites ou promesses d’emploi civil.

À ce point de vue, comme à bien d’autres, Saint-Maixent est une institution malheureuse. C’est une école ; on y entre par un concours. On ne peut arriver à l’épaulette qu’en subissant ce concours, et en passant par cette école. Pas de place pour qui n’est pas capable de l’un et de l’autre. Toutes les vertus, tous les mérites, les meilleures qualités personnelles de commandement