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obligatoire personnel, les gros bataillons, les énormes armées d’invasion, inaugurées par l’Allemagne victorieuse.

Puis ce fut, avec le service de trois ans pour tous, un nouveau pas en avant. On s’éloignait encore un peu davantage de l’ancienne armée pour se rapprocher de la milice nationale. C’était un système mixte, une sorte de juste milieu. Les hommes qui passaient trois ans sous les drapeaux pouvaient encore être légitimement considérés comme des soldats ; d’un autre côté, en réduisant le service à ce minimum indispensable, on faisait passer par le rang un nombre d’hommes plus considérable qu’avec le système précédent des cinq ans. Ces réservistes de trois ans de service valaient mieux que ceux d’une seule année ; c’était un avantage réel. Du reste, ce système avait produit l’armée allemande de 1870, on ne pouvait lui refuser toute valeur, et, l’expérience que nous en avons faite, pendant dix ans, a montré qu’il permettait d’obtenir une armée encore sérieuse et suffisante.

Mais aujourd’hui nous voici arrivés au service de deux ans. Cette fois la balance penche bien définitivement du côté de la milice nationale. On ne peut prétendre faire un soldat, dans la haute acception de ce mot, d’un homme incorporé pendant deux ans, réduits à vingt-deux mois au maximum. Avec du zèle de la part de ses instructeurs, de la bonne volonté de sa part, on réussira peut-être à en faire un militaire instruit qui connaîtra le maniement de son arme, les exercices du terrain de manœuvres, la théorie du service en campagne, mais il n’aura rien par le fait de ce que nos pères entendaient par ce mot « un soldat. » Il restera, avant tout, citoyen. Le service de deux ans nous donnera non pas une armée, mais la « nation armée » en cas de besoin, et c’est bien différent. On peut dire que l’ancienne armée, celle qui a duré de 1820 à 1870, fille directe de celle du premier Empire, petite-fille de celle de la Monarchie, est morte aujourd’hui, et bien morte dans son esprit comme dans sa forme.

Ressuscitera-t-elle ? Il n’y a aucune raison de le prévoir, tant que, du moins, l’expérience pratique de la guerre ne sera pas venue la réhabiliter, et l’imposer à nouveau.

Aujourd’hui le service de deux ans est un fait acquis. Quelque détestable qu’on le juge, quelque désastreuses et douloureuses qu’en puissent apparaître les conséquences pour la grandeur et même pour l’avenir de la France, il faut s’y résigner comme à une inéluctable fatalité. Ne récriminons-donc pas inutilement,