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de soutenir ses intérêts et même son honneur, au loin et au dehors.

La valeur d’une pareille milice nationale est, il est vrai, bien plus directement liée à la valeur morale individuelle des citoyens qui la composent, à la puissance du souffle patriotique qui l’anime, qu’à sa valeur technique toujours faible. L’expérience de l’histoire n’est guère, il faut l’avouer, favorable à la valeur militaire des milices, même dans les cas où l’élan patriotique a été le plus fort. Les rebelles de l’Amérique du Nord, les volontaires de 93, les patriotes d’Espagne n’auraient, à eux seuls, sauvé ni l’Amérique, ni la France, ni l’Espagne ; il leur a fallu l’appoint solide d’une armée de métier. Mais ces milices peuvent invoquer des circonstances atténuantes en leur faveur. Elles étaient par le fait absolument improvisées, mal organisées, mal instruites, plus mal commandées encore. Il n’est pas impossible de soutenir qu’avec une organisation solidement étudiée dès le temps de paix, une préparation sérieuse faite en temps utile, une milice nationale pourrait mettre, entre les mains d’un état-major convenablement éduqué, une troupe fort capable de défendre non seulement avec honneur, mais avec succès, l’indépendance de la patrie.

Il ne s’agit pas, du reste, ici de comparer et d’apprécier les deux systèmes, mais seulement d’en faire bien ressortir les principes fondamentaux, diamétralement opposés : d’un côté, une armée de professionnels, essentiellement offensive, faite pour la guerre et qui en vit ; de l’autre, une armée de citoyens essentiellement défensive, qui ne se met en mouvement qu’à la dernière extrémité, pour sauver la patrie en danger.

Il existe en Europe une armée de chacun de ces deux types : l’armée anglaise d’un côté, l’armée suisse de l’autre.

L’armée anglaise est encore, et restera sans doute, — une armée exclusivement composée d’engagés, c’est-à-dire d’hommes qui ont choisi volontairement le métier des armes, soit par goût, soit comme gagne-pain. Que l’Angleterre ait préféré ce mode de recrutement, qu’elle y reste fermement attachée, cela s’explique facilement. Abritée par la mer, embusquée derrière sa toute-puissante marine, l’Angleterre n’a guère à prévoir que des guerres à faire au dehors, dans ses colonies ou sur le continent européen. Son armée est donc au premier chef un article d’exportation. Elle doit être surtout un instrument de politique