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société civile. C’est une arme redoutable, essentiellement offensive. C’est un mécanisme de guerre créé pour la guerre, qui ne vivra que par la guerre ; non pas évidemment la guerre incessante comme sous le premier Empire, car tout usage incessant use et détériore le mécanisme le plus parfait, mais la guerre fréquente, renouvelée à de courts intervalles, qui assure, au contraire, le bon fonctionnement de toutes les pièces, le renouvellement par élimination des parties défectueuses.

A vrai dire, la pierre d’achoppement de cette organisation sera précisément cette nécessité de la guerre fréquente. Pour être vraiment des soldats, il faut que ces hommes fassent leur métier de soldats, qu’ils vivent au bivouac plus qu’à la caserne, fassent des marches et non de paisibles routes, fréquentent les champs de bataille autant que les champs de manœuvre. Faute de quoi, pas d’armée de métier, mais une armée de caserne, ce qui est bien différent ; pas de soldats, mais des militaires auxquels toute l’instruction possible et vingt ans de bonne conduite au corps ne donneront pas la trempe spéciale de la pratique et de l’expérience de la guerre.

Il y a une autre conception de l’armée, radicalement différente de celle-ci. C’est celle de la « Milice nationale. » Celle-ci n’est, en somme, autre chose que l’organisation préventive de la levée en masse de tous les citoyens valides pour courir à la défense de la patrie en danger. Dans cet ordre d’idées, tous les hommes en âge et en état de porter les armes doivent, au moment du péril, venir se ranger sous les ordres de cadres préparés d’avance, prendre dans le rang la place qui leur est assignée dès le temps de paix. Ils ne reçoivent auparavant que le dégrossissement physique nécessaire pour tenir utilement cette place, rien de plus. Aussitôt cette rudimentaire instruction terminée, ils rentrent dans la vie civile. Ce sont des citoyens qui font à la patrie le sacrifice d’un minimum de temps et de forces pour être en état de la défendre, le cas échéant. La partie permanente de l’armée se trouve alors réduite, d’un côté à des états-majors qui s’entretiennent par des études théoriques et techniques et des cadres instructeurs entre les mains desquels défilent des générations d’élèves à peine entrevus, aussitôt oubliés que disparus. Une armée bâtie sur ce modèle est et ne peut être que strictement défensive. Elle est, par nature et par principe, vouée à la seule défense du sol de la Patrie, incapable, par définition même,