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Arrivés au point où ils se trouvèrent en 1799, c’est-à-dire entrés en Italie, entrés en Suisse, entrés en Hollande, maîtres de l’Allemagne, les alliés voudront consommer l’ouvrage projeté alors, franchir le Rhin, reconquérir la rive gauche et les Pays-Bas, ramener la France aux anciennes limites, et les rogner même, si faire se peut. Ils n’avaient connu que deux motifs de subir ces conquêtes : la force de la France, les indemnités qu’elle distribuait. La force est abattue, les indemnités restent et les dépouilles les vont décupler. Quelle raison d’État leur conseillerait de tolérer, quand la France est vaincue, une extension de la puissance française qu’ils ont, à tant de reprises et avec tant d’acharnement, combattue ? La modération ? Ils ne l’ont jamais connue, et qui la leur aurait enseignée depuis 1792 ? La justice ? Ils ne pratiquent que la vieille loi d’Israël, la loi du talion, et, en fait de droit public, les représailles. Telle est la symétrie de cette histoire. Les mêmes motifs qui ont conduit la France à conquérir et à réorganiser le continent, mènent le continent à conquérir et à démembrer la France. La coalition étant victorieuse, c’est d’après les desseins avortés des coalitions vaincues de 1793, 1799, 1805, 1807, 1809, qu’il faut juger les desseins de 1813. Alors la suite apparaît, et quand on remonte plus haut, que l’on discerne les liens par où ces desseins se rattachent à ceux du passé, on découvre la pensée de derrière la tête, qui a mené toute l’affaire. Lisez, dans le Journal de Torcy[1], le récit des préliminaires de La Haye, en 1709 : vous reconnaissez et la lettre, et l’esprit des préliminaires de Prague, et vous jugerez l’hypocrisie redoutable de la procédure des alliés, la vanité des concessions de Napoléon. « Plus j’ai témoigné de facilité et d’envie de dissiper les ombrages que mes ennemis affectent de conserver de ma puissance et de mes desseins, plus ils ont multiplié leurs prétentions, en sorte qu’ajoutant par degrés de nouvelles demandes aux premières,… ils m’ont également fait voir que leur intention était seulement d’accroître aux dépens de ma couronne les États voisins de la France et de s’ouvrir des voies faciles pour pénétrer dans l’intérieur de mon royaume, toutes les fois qu’il conviendra à leurs intérêts de commencer une nouvelle guerre. Celle que je soutiens et que je voulais faire ne serait pas même cessée quand j’aurais cédé aux propositions qu’ils m’ont faites. » C’est

  1. Publié par M. Frédéric Masson.