furent pour les alliés des jours de cruelle perplexité. La coalition passait, dès son début, par la formidable épreuve à laquelle les coalitions précédentes avaient succombé : récriminations militaires, récriminations politiques, Autrichiens contre Russes, Russes contre Allemands, Prussiens apostrophés par tout le monde, mais faisant front, aboyant et mordant tout le monde ; les Anglais déconcertés et déjà prêts à renouer les sacs à livres sterling. L’armée alliée, vaincue à Dresde, couvrait les chemins, précipitant la retraite. Treize mille Autrichiens avaient déjà mis bas les armes. Pouvait-on croire à l’Autriche ! Les souvenirs de 1805 et de 1809 hantaient les imaginations, souvenirs de défaites, d’écroulemens, de défections, Austerlitz contre Friedland, Iéna contre Tilsit ! Metternich, très troublé, pesait les responsabilités que son maître et ses compatriotes rejetaient déjà sur lui.
Les trois souverains se réunirent au château de Dun, près de Tœplitz. Rien ne montre mieux le renversement des affaires, le renversement de cette allure générale qui les mène toutes. Ce qui avait séparé les alliés en 1794, 1799, 1805, les réunit : au lieu de chercher chacun son salut dans la fuite et ses avantages ou son moindre détriment dans une paix particulière, instruits par l’expérience que ces désaccords ne les menaient qu’à des capitulations plus funestes, ils se tinrent, les mains serrées, étouffant les rancunes, l’orgueil et la crainte pour ne penser qu’à pourvoir ensemble au péril commun. La déroute du rude sabreur Vandamme, si redoutable dans la poursuite, le 28 et le 29 août, celle de Macdonald à la Katzbach, le 30, la nouvelle de la défaite d’Oudinot à Grossbeeren, le 29, leur prouvèrent qu’ils avaient eu raison. Le succès ne parut plus douteux.
Alexandre joua en cette crise un personnage supérieur. C’est alors qu’il devient vraiment le régulateur, ou, comme on commençait à dire, dans le jargon du temps, le roi des rois, l’Agamemnon de la nouvelle Iliade. Autant il s’était montré fuyant, insaisissable, équivoque, lors de l’alliance de Tilsit, parce qu’alors il ne voulait pas, il n’aimait pas sa propre politique, politique de commande, de masque, de passage ; autant, depuis Moscou, on le vit résolu, suivi, voulant ses actes, marchant à son but, qui était la destruction du Grand Empire, et la déchéance de Napoléon : lui ou moi ! jusqu’aux extrémités accessibles, c’est-à-dire jusqu’à Paris.