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bataille rentrait dans ses calculs : elle lui rendait une médiation possible et, par suite, le délai dont il avait besoin, le moyen de traîner Napoléon, de le tenir en suspens. Ce qu’il apprenait des récriminations des alliés, Prussiens contre Russes, n’était pas pour le contrarier. L’Autriche prendrait, dès son entrée en scène, la direction de la politique et de la guerre. Si Napoléon avait écrasé les alliés, il serait redevenu maître du monde ; s’il avait été mis en déroute, la suprématie passait à Alexandre ; l’Autriche n’aurait plus été qu’une chancellerie à la suite et un corps auxiliaire dans la coalition. Ce fut une passe singulièrement périlleuse et difficile pour Metternich : l’empereur François, vacillant et entêté ; le public, emporté tour à tour et effaré, ne comprenant pas, condamnant les retards à déclarer la guerre. Metternich se montra supérieur par sa maîtrise de soi-même, sa constance, sa dextérité, sa souplesse dans les défilés. « Il ne vacille pas dans l’exécution de son plan, » écrit, le 12 mai, le comte Hardenberg. Cet homme du monde, ce dandy politique, à la main blanche et nerveuse, déploya le sang-froid, le coup d’œil et l’énergie d’un vieux pilote. « Il s’agissait, a-t-il écrit, d’empêcher Napoléon de suivre sa tactique habituelle, c’est-à-dire de se tourner vers la Bohême, afin de frapper contre nous un grand coup dont les suites auraient été incalculables pour l’Autriche. » Vers le mois de juin, l’armée de Bohême devait être prête : en attendant, il se mettrait d’accord « avec les autres puissances sur la question de la médiation, et, jusqu’à cette époque, il voulait encore dissimuler avec Napoléon. » Il prévoit « que la guerre entre l’Autriche et la France doit éclater par le refus que Bonaparte donnera, sans aucun doute, aux propositions que la Russie, la Prusse et l’Autriche lui feront conjointement[1]. »

Le fin de l’affaire consistait à lui proposer des conditions qu’on serait sûr de lui voir refuser ; le choix n’était pas malaisé connaissant ses vues et les nécessités de sn politique. On jouerait, à coup sûr, avec lui, cette artificieuse partie. Napoléon ne pouvait pas reculer sans perdre son prestige, s’avouer vaincu sans s’exposer à de nouvelles exigences des alliés. Metternich savait que les meneurs de l’opinion à Paris, les confidens, émissaires et « affidés » de Talleyrand, se feraient une arme contre Napoléon du refus qu’il opposerait à des conditions que, dans

  1. Rapport de Hardenberg, de Vienne, 9 mai 1813, conversation avec Metternich.