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différent, sur le luxe personnel qu’on lui a imputé. Chacun sait qu’en 1789, lorsque les députés aux États généraux arrivèrent, la plupart d’entre eux étaient imbus de cette prévention et qu’ayant été voir les appartemens de la Reine dans les différentes maisons royales, ils furent frappés d’apprendre que le seul ameublement un peu recherché qui s’y fît remarquer était l’ouvrage même de cette princesse. On ne pourrait lui reprocher avec quelque fondement que l’inutile acquisition de Saint-Cloud. Mais le motif qui l’y détermina fut le désir d’y être, non pas Reine, mais dame de paroisse, et d’y faire par elle-même, à ses vassaux, le bien qui était dans son cœur. Si quelqu’un doutait de cette assertion dont je garantis la vérité, je le prie de se rappeler les soins qu’elle se donna, pour acquérir aussi la Seigneurie de Saint-Cloud, qui appartenait à l’Archevêché de Paris, et qui était assurément bien inutile à la jouissance du château. C’était une fantaisie, j’en conviens ; mais en connaît-on beaucoup dont le principe ait été aussi louable ?

L’enthousiasme que Marie-Antoinette avait excité à son arrivée en France dura dans toute sa force jusqu’en 1775 ; ensuite. comme je l’ai dit, il commença à diminuer, et bientôt il s’éteignit entièrement. Ce fut alors que les libelles, les chansons, commencèrent à paraître contre elle et qu’on osa la comparer à Messaline, pour la débauche et pour la cruauté. Je crois avoir démontré l’absurdité de ce dernier article. Pour celui des mœurs, je n’entreprendrai pas de nier que ses manières trop libres n’aient prêté à la censure ; mais, en vérité, l’on frémit quand on songe à la facilité avec laquelle on se permet dans notre siècle de déchirer la réputation d’une femme. Marie-Antoinette fut imprudente sans doute ; mais il y a bien loin de là à être criminelle, et je ne crois pas que personne au monde puisse prouver qu’elle l’ait été. Mais il était nécessaire, à ceux qui, dès lors et bien longtemps auparavant, travaillaient à la Révolution, d’enlever au trône la considération qui était sa sauvegarde la plus assurée. Ils sentaient bien qu’à cette époque, il eût été imprudent d’attaquer la personne même du Roi ; ils se contentaient d’attaquer celle de la Reine, bien certains que, s’ils réussissaient à lui enlever sa réputation, celle du Roi en souffrirait nécessairement.

Ce projet ne leur réussit que trop bien, et il faut convenir aussi que l’exécution n’en était pas fort difficile. Les vieillards prêtèrent l’oreille à leurs discours, parce que le contraste de la