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vraiment une valeur comme romans et gardent le droit de se réclamer de l’histoire. Si le roman historique, genre mixte et hybride, n’a pas de lois, on lui connaît du moins des modèles. Ils témoignent tous dans le même sens. L’histoire ne peut donner au romancier qu’une atmosphère, un décor, des événemens, l’esquisse des caractères. A lui de remplir ce cadre avec ce qui s’y adapte de la vie humaine telle que son expérience ou son intuition la lui révèle ; à lui d’inventer, suivant la nature et la vérité, une matière appropriée aux formes où il va la disposer. S’il imagine suivant son caprice, multiplie les aventures, complique l’intrigue, il dérive le roman historique hors de la littérature, vers le feuilleton : ce n’est plus Walter Scott, c’est Alexandre Dumas et, bientôt, Ponson du Terrail. Il semble bien que les données historiques soient pour le romancier des limites : elles le contiennent ; mais c’est son propre fonds qui le soutient. L’histoire, en effet, ne saurait lui prêter davantage ; elle appartient plutôt à l’épopée et au drame. Le roman, lui, est la représentation de la vie dans sa complexité naturelle, telle qu’elle se déroule dans la mêlée du monde et non point sur cette scène où les héros projettent leur silhouette agrandie et simplifiée. Les meilleurs romans historiques sont ceux qui font intervenir les événemens de l’histoire dans la mesure où ils dominent la destinée des individus, exercent leur influence sur la vie privée et sociale, les passions et les mœurs. C’est pourquoi, sauf des exceptions (comme Marie Stuart dans l’Abbé et le Monastère, de Walter Scott), et à moins qu’ils ne restent indéterminés dans le lointain des lieux ou des âges, les personnages historiques ne sont pas romanesques. Ni Cromwell, ni Louis XIV ne sont à leur place dans des œuvres qui, après tout, veulent être le miroir de la vie ; et l’on sait ce qu’est devenu Richelieu dans le Cinq-Mars d’Alfred de Vigny.

On a signalé chez nous, depuis quelques années, une renaissance du roman historique. La curiosité, toujours plus ouverte et renseignée de notre époque de fouilles, de voyages et de chartes, a produit quelques œuvres analogues aux romans de l’hébraïsant Strauss et de l’égyptologue Ebers, éclosion qu’il fallut un peu solliciter, je pense. Lorsqu’un éditeur parisien s’avisa d’ouvrir une Bibliothèque de romans historiques, elle ne parut ni inspirer beaucoup d’auteurs, ni séduire beaucoup de lecteurs. En ceci, comme en tout le reste, que nous sommes donc différens de nos voisins les Anglais ! Il fallut, pour arriver à une trentaine de volumes, recourir aux réimpressions, traductions, adaptations. Les femmes fournirent la plus grosse part, dont l’exotisme et l’archéologie font à peu près tous les frais. C’est à