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Dimanche, 27 décembre 1840.

« Je vais être pris d’ici au jour de l’an par un article peu amusant, sur P. Lebrun et sa Marie Stuart[1]qu’on vient de reprendre ; mais c’est une dette à un souvenir d’autrefois. Je ne veux donc pas différer mon bonjour de l’An, dût-il vous arriver la veille : vous lui pardonnerez d’être si empressé. Je ne crois plus beaucoup, chère Madame, à des coquetteries d’amitiés, mais, de votre part, je crois avoir bien de la certitude à l’amitié et je serais fâché que le découragement atteignît jamais le fond ; vous me répondez du contraire et j’y ai confiance. Nous sommes tristes ici ; notre politique est bien humiliée ; ç’a été une douleur pour ceux qui s’étaient laissé reprendre à un moment d’espoir et de sentiment national. En particulier je suis triste pour la Revue ; Guizot menace Buloz de destitution, s’il ne se soumet ; c’est d’un cynisme qui me révolte. Il me tarde d’être désintéressé dans tout cela et d’avoir mis mon bonnet de nuit final sur ces choses du moment. Cela viendra ! Port-Royal achevé et l’Académie me mettront hors de tout. Alors seulement je serai vraiment sage, immobile et dans la suprême apathie. C’est le 7 janvier que se décide l’élection de Hugo et par suite les nôtres. On se remue fort pour et contre. A propos, nous ne sommes plus ennemis à mort : un cadeau de jour de l’an offert par moi et accepté par lui pour ma filleule (car j’ai là une filleule), nous a permis de nous donner la main, mais c’est tout[2].

« Il y a des siècles, c’est-à-dire des semaines, que je n’ai vu Lèbre, mais il est venu visiter ma mère très gentiment. Mickiewicz, que je n’ai pas vu encore, a commencé son cours, avec grande affluence, et un succès de fond qui s’accroîtra dans la forme : il y a eu pourtant, à ce qu’il paraît, à travers l’émotion du début et la gêne du langage, des momens d’éloquence. Le voilà bien posé et salué de tous illustre.

« J’ai revu George Sand qui m’a fort parlé de lui et un peu de vous. Avez-vous lu, chère Madame, son dernier roman ? Dites-m’en votre avis : on est assez partagé ici et la plupart sont très défavorables. Je sais pourtant un ou deux suffrages qui me font douter. Je n’ai rien lu et attends des autres le vent. Lamennais et Leroux ont fait aussi de gros livres de philosophie, qui ont eu

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1841.
  2. Sainte-Beuve était le parrain d’Adèle Hugo.