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1er septembre 1840.

« Cher Olivier,

C’est à vous que j’écris, craignant que Mme Olivier ne soit en couches, l’espérant aussi, afin que ce cap de tourmente soit passé : j’espère qu’à l’heure qu’il est vous êtes heureux et rassuré. Vous me le direz aussitôt ; il me semble impossible que cela tarde encore.

« Je vous aurais écrit ces jours précédens, si moi, mon cher ami, je ne me trouvais très malheureux. Un petit bout d’imprimé poétique[1](tiré à trois ou quatre exemplaires) et que vous ne montrerez à personne vous apprendra avant peu le fil intérieur des sentimens auxquels je fais allusion : vous le recevrez par la poste et le mettrez dans les Arcana. Voici le fait prosaïque, cher ami : je me flattais depuis quelques mois d’un bonheur charmant, et enfin d’un bonheur permis. Je croyais avoir trouvé, il me semblait qu’on me répondait ; il me semblait que mon plus grand ennemi était en moi-même, dans mon habitude incurable d’indépendance. J’ai lutté contre moi, contre mes idées, j’avais compris le mariage : cette place que j’ai prise n’était que pour avoir droit de me présenter[2]. Eh bien ! j’ai été refusé, — avec grâce, mais, je le crains, sans retour. La douleur que j’en ai éprouvée et que j’en éprouve est inexprimable ; imaginez que j’y suis retourné malgré moi dès le surlendemain du refus, j’y retournerai, qui sait ? ce soir même. L’objet est des plus purs, des plus dignes ; mais mes vers vous diront cela.

« Ainsi, cher ami, au moment où vous êtes inquiet ou heureux, je ne suis plus ni l’un ni l’autre, mais abattu net[3]. J’ai erré ces trois jours durant comme un chien sous le soleil : Hæret lateri arundo.

« Je ne garderai pas cette place (entre nous), mais seulement

  1. Sainte-Beuve désignait ainsi le recueil des quelques poésies que Mlle P. lui avait inspirées et qu’il a publiées à la fin de ses Poésies complètes sous le titre : Dernier rêve.
  2. La place de bibliothécaire à la Mazarine.
  3. Ce projet de mariage ne devait pourtant pas être le dernier qu’ait caressé Sainte-Beuve. Quelques années plus tard, il faillit épouser Ondine Valmore, mais, comme il l’écrivait un jour, il avait laissé passer l’heure, et sa destinée était de rester célibataire. « Pourquoi se marier ? disait-il à Collombet, de Lyon, au mois de septembre 1847 ; si la chair ne le demande pas, si le cœur ne le dit pas, à quoi bon cette complaisance pour je ne sais quoi et je ne sais qui ? Vieillissons, mon cher ami, vieillissons, moi entre Théocrite et Port-Royal, — vous, entre Saint Jérôme et Synésius. »