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la Chambre, avec la moitié des députés qui décampent, dépend un peu d’un coup de dés. Je m’effraye peut-être trop ; mais, de plus, quand la loi passerait, il n’est pas très sûr que Cousin puisse rester longtemps et soit là pour en surveiller les suites par rapport à Mickiewicz. Comme, dans tous les cas, ce serait Thiers qui aurait la haute main, on serait sûr par lui d’un résultat. Ce sont toujours des lenteurs et des chances.

« Je travaille peu et suis très fatigué : je passe la journée seul à rêver, à dormir, à émietter quelque livre. Je dîne chez Pinson ou en ville, car depuis un mois la bonne de ma mère a été assez gravement malade. Je vais assez dans le monde et j’observe. J’ai hier dîné avec Mme Sand et avant-hier chez M. Thiers. Buloz me demandant à cor et à cris une nouvelle, je me suis à peu près décidé à lui faire M. de ***[1], vous savez ? cette histoire d’Orbe, chère Madame. Ne soyez pas trop sévère, si j’en gâte quelque chose. Ecrivez-moi à temps vos pensées là-dessus, s’il vous plaît. En mettant la scène dans le pays de Vaud vers 1793, on y était encore sous la domination bernoise, n’est-ce pas ? on était sous des baillis comme Bonstetten[2] ? J’ai envie de faire faire à la demoiselle et au monsieur le voyage des Ormonts ; les Ormonts étaient alors partie du pays de Vaud, n’est-ce pas ? et sous Berne ? La Gruyère était à Fribourg, n’est-ce pas ? Pour qu’ils se marient, lui étant catholique, ne pourrait-elle pas l’être aussi, par une certaine combinaison de famille (son père serait catholique et sa mère protestante) qui lui permettrait d’avoir cependant toute la pureté vaudoise et même cette raideur de la seconde virginité ? Mais je n’ai rien d’arrêté là-dessus. Si la plume vous fatigue, dictez à Olivier vos vues sur mes questions, ou laissez-les-lui deviner.

« Marmier repart après-demain pour un long voyage, il visite d’abord ses parens près de Colmar, et de là va en Hollande, où il restera l’hiver. Il y fera un volume sur la littérature de ce pays. M. de Rémusat lui a donné comme prétexte une mission pour les archives ; moyennant cela, il clora son cycle du Nord.

« Quand vous aurez le temps de lire un roman, chère Madame,

  1. Cette nouvelle, dont Olivier lui avait donné le sujet, est restée à l’état d’esquisse.
  2. Bonstetten (Charles-Victor de), naturaliste suisse, né à Berne en 1745, mort à Genève en 1832. Saint-René Taillandier a publié des lettres inédites de lui. Bonstetten est l’auteur du Latium ancien et moderne, ou Voyage sur la scène des six derniers livres de l’Enéide.