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M. Ducloux, Lèbre, Espérandieu, Vinet, le Père Cassât, Frossard, et à Mlle Sylvie particulièrement, à la famille d’Eysins, à M. Ruchet. Mais il me faut un mot qui me rassure, mon cher Olivier. Vous, travaillez, et nous irons aux étoiles, ô poète, quoi que vous en disiez.

« A vous. »


6 mars 1840[1].

« Madame et chère amie,

« Votre lettre était bien attendue, et avec une inquiétude qui s’accroissait chaque matin. Enfin, vous n’êtes pas trop mal pour le moment, votre crainte n’est qu’à l’avenir. Souffrez que je vous dise qu’elle est exagérée. Je ne suis ni médecin ni accoucheuse, mais il me semble impossible qu’une femme qui a eu Doudou et Aloys, et qui se porte comme vous d’ordinaire, n’ait pas en elle toutes les conditions naturelles pour franchir cette crise, toujours grave, mais où toutes les ressources d’organisation se déploient. Soyez donc plus calme et ne voyez rien de fermé dans vos horizons : seulement une étoile de plus là-bas dans ce buisson tout contre la terre. Ce qu’Olivier me dit de Mickiewicz me fait bien plaisir : quelle jolie et poétique Académie on ferait en vous allant rejoindre ! Tout ce qu’il y a d’imprévu est possible pour moi ! Car ma vie que je livre à tous vents n’est pas longtemps tenable ainsi. J’ai eu hier une joie à votre sujet. Le dîner avec Mme Dudevant s : est si bien passé et elle a été si bonne enfant que je suis allé la voir chez elle : elle m’en avait donné la permission après le dîner. Je lui ai parlé de mes voyages en Suisse, de Lausanne : « Oh ! je connais là, m’a-t-elle dit (textuel), un jeune pasteur fort aimable, appelé Olivier, qui m’a un jour apporté des fleurs d’une manière charmante, de ces fleurs bleues qui croissent en haut des montagnes : il avait su je ne sais comment que je les aimais ; il m’a beaucoup parlé de sa femme aussi[2]. »

  1. Des fragmens de cette lettre du 6 mars, ainsi que de la suivante, et de deux autres qu’on trouvera plus loin, sous les dates des 1er septembre et 1er décembre 1840, ont été déjà publiés par M. Eugène Rambert, dans une étude sur Juste Olivier, qui fait partie de ses Écrivains de la Suisse romande, Lausanne, 1889. Il nous a paru cependant que nous ne pouvions nous dispenser de les donner ici dans leur texte intégral, sans risquer d’interrompre la suite et la liaison de la Correspondance.
  2. Il y a dans les Chansons lointaines de Juste Olivier une poésie intitulée : La Fleur bleue, et dédiée à George Sand, à qui l’auteur offrit un jour, à Genève, des gentianes des Alpes, et qui le prit pour un jeune pasteur.