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complainte ? Et toute la pièce est ainsi. Ce qu’elle ajoute à l’original se distingue à peine de ce qu’elle lui emprunte. D’un bout à l’autre, l’esprit en est un, une aussi la forme. Et rien sans doute ne fait plus d’honneur au talent de M. Henry Bataille que la souplesse peu commune avec laquelle, subtil artiste de nos jours, il a su recréer en lui l’âme archaïque et semi-barbare d’un clerc breton d’il y a trois ou quatre cents ans. Mais rien non plus, ce me semble, n’atteste mieux l’espèce de vertu tragique qui imprègne de toutes parts ces vieilles compositions armoricaines. Le drame n’y est pas seulement à l’état de germe latent : il perce par mille endroits, et, comme dans l’épopée irlandaise, comme dans le roman gallois, on ne voit pas qu’il soit nécessaire de déblayer beaucoup pour le dégager tout à fait.

A considérer donc la littérature des peuples celtiques en ce qu’elle a produit de plus marquant, c’est moins son caractère lyrique, épique ou romanesque, comme le veut Renan, que son caractère dramatique dont on est frappé. Partant, il n’est pas vrai que les Celtes aient été par tempérament et, en quelque sorte, par définition, impropres à l’art du théâtre. Plutôt en avaient-ils le don natif, l’instinct impérieux, et j’ai presque envie d’écrire : la vocation. S’ils s’y sont exercés, et dans quelle mesure, et avec quel succès heureux ou malheureux, c’est là une étude qui resterait à tenter. Mais, d’ores et déjà, ne sommes-nous pas en. droit de dire qu’en admettant même qu’ils ne se soient point essayés aux jeux de la scène, c’est uniquement l’occasion, non le génie, qui leur a manqué ?


ANATOLE LE BRAZ.