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Ceux-là mêmes, nous le devinons, qu’elle croyait ourler pour ses noces, Le rappel de ce détail, à cette place, est d’une éloquence singulièrement émouvante : il nous fait, en quelque sorte, toucher du doigt le triste changement accompli. Là-dessus finit le second acte du drame.

Au troisième, nous sommes dans l’église de la paroisse. Tous les proches, tous les amis, toutes les connaissances de la famille Ollivier s’y sont donné rendez-vous. Leur foule est si nombreuse qu’elle reflue par l’ouverture du porche jusque dans le cimetière. Jeanne Le Judec arrive à son heure, parée comme il convient pour une telle fête. Dès l’abord, elle demande :


— Dites-moi, compagnie,
La messe nouvelle est-elle dite ?


Et la « compagnie » de répondre :


— La messe nouvelle n’est pas commencée :
Le prêtre est impuissant à la célébrer
Tant il a de regret à la plus jolie fille de ce canton.


Le cœur de Jeanne a tressailli : tout espoir n’est peut-être pas perdu. Elle s’insinue dans les rangs des fidèles, s’installe de façon à se trouver sur le passage de l’officiant, lorsqu’il fera le tour de la nef, pour l’Asperges. Précisément, le voici qui paraît. Il est pâle et, sans doute, un peu hagard ; il marche comme dans un rêve, s’efforçant de ne rien voir, s’efforçant de s’oublier soi-même. Dès qu’il est à portée d’elle, Jeanne « le saisit par son surplis » et l’implore à voix basse :


— Philippe Ollivier, tournez-vous de mon côté ;
Vous avez péché à mon endroit !…


Mais, lui, feint de n’avoir pas entendu. Il passe, en détournant la tête, et Jeanne laisse tomber la sienne dans ses mains. Pour comble d’humiliation et d’angoisse, la mère de Philippe Ollivier est là qui pousse le coude de la jeune fille, qui la harcèle, qui la raille, qui ne lui laisse ignorer aucune des péripéties de l’office, ne lui épargne aucune des phases de son immolation :


— Jeanne Le Judec, levez la tête !…
Vous verrez Jésus dans la messe,
Vous verrez Jésus présenté
Entre les doigts de votre bien-aimé…