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de ces commissions. Les tribunaux ordinaires offrent beaucoup plus de garanties : mais, quand on s’est soustrait arbitrairement à la juridiction des tribunaux ordinaires, on tombe un jour ou l’autre sous celle des commissions d’enquête. Saura-t-on enfin la vérité ? Tout le monde doit le souhaiter, et le souhaite sans doute. Attendons.


Il faut avouer que, sans qu’il y ait de notre faute, nous jouons de malheur au Maroc. L’incident Perdicaris ne pouvait pas se produire plus mal à propos que le lendemain de notre arrangement avec l’Angleterre, c’est-à-dire à un moment où nous avons annoncé l’intention d’assumer certaines responsabilités, sans être encore en mesure d’y faire face. Mais personne ne sera surpris, — précisément parce que notre arrangement est d’hier et que le temps matériel nous a manqué pour le rendre effectif du côté du Maroc, — que nous n’ayons pu rien faire de bien efficace pour donner à l’affaire le dénouement qu’elle comportait. De tout cela il résulte pour nous une leçon dont nous devrons profiter.

MM. Perdicaris et Varney, sujets américains, habitaient tantôt Tanger, tantôt une maison de campagne des environs. Ils étaient très connus ici et là, et rien ne semblait devoir menacer leur sécurité, lorsque, il y a quelques jours, ils ont été arrêtés à la campagne par Erraissouli, qu’on nous a d’abord présenté comme un pur bandit, et qui s’est trouvé depuis être un personnage assez important, fort connu lui aussi, et qui aspirait à améliorer sa situation par des moyens hardis. C’est un de ces hommes qui vivent en marge de la civilisation et de la barbarie, plus près de la seconde que de la première, cupides, ambitieux, énergiques, sans scrupules. Il y en avait beaucoup comme lui dans l’Europe du moyen âge : heureusement l’espèce en a disparu sur notre continent, mais en Afrique il ne faut même pas aller bien loin pour en retrouver d’étranges spécimens. Erraissouli, qui connaissait MM. Perdicaris et Varney et les savait riches, s’est emparé d’eux pour en faire des otages, en déclarant qu’il ne les remettrait en liberté que sous certaines conditions, les unes pécuniaires, les autres politiques : en un mot, il entendait qu’on négociât avec lui et qu’on subît ses exigences. Il a commencé par traiter ses prisonniers avec douceur, mais on assure que la santé de M. Perdicaris, qui est âgé, est sensiblement altérée, et qu’il y aurait urgence à mettre fin à sa captivité. Que faire pour cela ? Erraissouli demande une rançon, cela va de soi, et de plus une indemnité pour le couvrir des vexations qu’il a eu à subir de la part du gouvernement chérifien